par Myriam ALLAB, 11 juin 2024

Quel sort pour les actes accomplis entre la cession du brevet et son inscription au registre ?

La Cour de Cassation vient de trancher sur la recevabilité d’une action en contrefaçon intentée pendant cette période, renversant la décision rendue en appel et la position généralement adoptée par les cours d’Appel sur ce point.

Une cession de 3 brevets portant sur la manette Playstation, entre sociétés d’un même groupe

La société Sony Computer entertainment a cédé à la société Sony Interactive entertainment (société Sony), trois brevets Européens (protégeant différentes fonctions de la manette de la console Playstation). La cession, réalisée selon le droit japonais, a été achevée le 1er avril 2010.

La cession a été inscrite au registre national des brevets en France le 28 juin 2018.

La société Sony (cessionnaire) et les sociétés Sony France et Sony Europe (exploitants) ont assigné en contrefaçon la société Subsonic le 16 janvier 2017, c’est-à-dire avant l’inscription de l’acte de cession au registre.

L’ayant-cause ne peut se prévaloir des droits découlant de la cession d’un brevet avant que l’acte de cession ne soit inscrit au registre

Dans un arrêt du 9 septembre 2022, la Cour d’appel de Paris a jugé irrecevable l’action en contrefaçon de Sony. En effet, l’article L. 613-9 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) stipule que « tous les actes transmettant ou modifiant les droits attachés à une demande de brevet ou à un brevet doivent, pour être opposables aux tiers, être inscrits sur le registre national des brevets tenu par l’Institut national de la propriété industrielle ».

La Cour de Cassation, dans son arrêt du 24 avril 2024, confirme le bien-fondé de cette disposition.

Néanmoins, elle conclut qu’à compter de cette inscription, l’ayant cause est recevable à agir en contrefaçon pour obtenir réparation des faits commis depuis le transfert de propriété du brevet. L’arrêt de la Cour de cassation ajoute que la réparation peut s’étendre au préjudice que lui ont causé les faits commis avant le transfert, si l’acte transmettant les droits le spécifie.

L’arrêt de la cour d’appel est donc cassé sur ce point : les actions en contrefaçon sont jugées recevables. L’inscription au registre a pour effet de régulariser la cession.

L’inscription de la cession a-t-elle un effet rétroactif ?

La cour de cassation s’appuie sur l’application combinée des articles L. 613-9, L. 615-2 du CPI et de l’article 126 du code de procédure civile. Ce dernier stipule que « Dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ».

La Cour se serait aussi inspirée de la méthodologie appliquée par la CJUE dans les arrêts Hassan (C‑163/15) et Philipps (C‑419/15).

Notons que cette interprétation d’une opposabilité « rétroactive », très favorable au cessionnaire, est sujette à débats en droit.

En outre, l’arrêt ne se prononce pas sur la validité de la saisie-contrefaçon, pratiquée dans la période « grise » entre la cession et son inscription.

En revanche, l’arrêt conclut que l’action en concurrence déloyale peut se fonder sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien d’une action en contrefaçon rejetée pour défaut de constitution ou inopposabilité d’un droit privatif.

Qu’en est-il de la saisie-contrefaçon ? Des conclusions à prendre avec prudence

Sony est ainsi rétabli dans ses droits bien que l’inscription du transfert n’ait eu lieu qu’en cours de première instance.

Le cessionnaire est, selon cette décision, recevable à agir non seulement à l’encontre des actes commis depuis l’inscription mais également à l’encontre des actes commis entre la cession et l’inscription.

Cependant, la régularisation ne s’étend pas à la saisie contrefaçon. Et les juges du fond, dont la jurisprudence établie n’admet la recevabilité des actions en contrefaçon qu’après l’inscription au registre, peuvent avoir une interprétation nuancée de cet arrêt.

On ne peut donc que recommander au cessionnaire d’inscrire au plus vite l’acte de cession de brevet au registre de l’INPI. En tout état de cause, il devrait procéder à l’inscription avant d’entreprendre une action en contrefaçon. Il sera utile aussi de prévoir, dans l’acte de cession, la possibilité d’agir pour des actes commis avant le transfert de propriété.

Par Myriam Allab, le 11 juin 2024