par Laurence LEBRUN, 26 septembre 2023

Suite à la parution récente de deux décrets pris en application de l’ordonnance n° 2021-1658 du 15 décembre 2021, Laurence Lebrun, avocate au Barreau de Paris et associée fondatrice de LLR Legal SPE, évoque pour nous le sujet de l’attribution des droits de propriété intellectuelle à une structure de recherche.

L’ordonnance n° 2021-1658 du 15 décembre 2021

L’ordonnance 2021-1658 du 15 décembre 2021, relative à la dévolution des droits de propriété intellectuelle sur les actifs obtenus par des auteurs de logiciels ou inventeurs non-salariés ni agents publics accueillis par une personne morale réalisant de la recherche, avait pour objectif de combler un vide législatif. Il s’agissait de prévoir des dispositions légales concernant la propriété ou la dévolution des droits de propriété intellectuelle liés aux créations logicielles et inventions des personnes physiques qui, à l’instar des stagiaires, étudiants, professeurs étrangers ou VIE, sont accueillis dans des structures de recherche, qu’elles soient des personnes morales de droit privé ou des organismes publics, dans le cadre d’une convention, sans être ni salarié ni agent public. Pour cela, il a été décidé d’appliquer à ces personnes un régime calqué sur les dispositions applicables aux créations logicielles et inventions des salariés et agents publics.

L’ordonnance renvoie expressément la fixation des modalités d’application de son article 3 consacré aux inventions, et notamment la détermination de la contrepartie financière dont doit bénéficier l’inventeur non salarié ni agent public accueilli dans le cadre d’une convention par une personne morale réalisant de la recherche, à un décret en Conseil d’Etat. Nous sommes restés de longs mois dans l’attente de ce texte.

Les décrets d’application du 11 août 2023

Ce sont finalement deux décrets en date du 11 août 2023 qui ont vu le jour :

  • Le décret n° 2023-770 du 11 août 2023 relatif aux modalités de dévolution des droits de propriété industrielle sur les actifs obtenus par des inventeurs non-salariés ni agents publics accueillis par une personne morale réalisant de la recherche, et
  • Le décret n° 2023-772 du 11 août 2023 relatif à l’intéressement des auteurs de logiciels non-salariés ni agents publics accueillis par une personne morale de droit public réalisant de la recherche dont les personnels permanents de recherche sont des agents publics.

Voici les principes posés par ces deux décrets.

I- Principes retenus en matière d’inventions (décret n° 2023-770)

Le décret n° 2023-770 fait écho à l’article 3, 4° de l’ordonnance consacré aux inventions. Il s’applique aux structures de recherche personnes morales de droit privé comme de droit public.

Le décret n° 2023-770 crée, dans la partie réglementaire du Code de la propriété intellectuelle (CPI), une sous-section détaillant les modalités applicables aux inventions des personnes physiques non-salariés ni agents publics, accueillies par une personne morale réalisant de la recherche. La distinction personne morale de droit privé/de droit public s’opère en  fonction de critères spécifiques.

Un décret concernant les personnes morales de droit privé ou de droit public

  • Les inventeurs accueillis par une personne morale dont, à la date de déclaration d’invention, la moitié au moins des personnels permanents de recherche sont des salariés de droit privé sont soumis aux dispositions relatives aux inventions de salariés de la partie réglementaire du CPI (articles R.611-1 à R.611-10).

Les conditions de la contrepartie financière dont l’inventeur doit bénéficier au titre d’une invention de mission doivent être déterminées dans la convention d’accueil. Le décret ne fixe pas de mode de calcul précis mais se réfère uniquement à des critères. Ainsi il faudra tenir compte notamment des missions qui sont confiées, des circonstances de réalisation de l’invention, des difficultés pratiques de sa mise au point, de sa contribution personnelle à l’invention et de l’intérêt économique et commercial que la structure d’accueil pourra en retirer.

  • Les inventeurs accueillis par une personne morale dont à la date de déclaration d’invention plus de la moitié au moins des personnels permanents de recherche sont des agents publics sont soumis aux dispositions relatives aux inventions des fonctionnaires et des agents publics de la partie réglementaire du CPI (articles R.611-11 à R.611-14-1).

Ces dispositions incluent la détermination de la contrepartie financière puisque l’article R. 611-14-1 précise les conditions de calcul de la prime d’intéressement et de la prime au brevet d’invention applicables.

Des dispositions d’application dans le temps

Le décret n° 2023-770 prévoit également des dispositions d’application dans le temps.

Le jalon temporel est l’intervention d’une déclaration d’invention postérieurement à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance, soit le 17 décembre 2021.

Pour les inventions réalisées entre la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance et celle du décret n° 2023-770, soit le 14 août 2023, des dispositions spécifiques sont prévues. Ainsi la déclaration  d’invention, si elle n’a pas été faite, doit l’être a posteriori dans les conditions prévues par les articles R.611-11 à R.611-14 du CPI. En ce qui concerne la contrepartie financière, lorsqu’elle n’a pas été précisée par la convention d’accueil, son montant est déterminé a posteriori selon les critères fixées pour les personnes morales de droit privé telles que définies plus haut. Concernant les personnes morales de droit public, dont on retient également la définition spécifique au décret, il convient de se référer aux dispositions relatives aux inventions des fonctionnaires et des agents publics de la partie réglementaire du CPI.

II-  Principes retenus en matière de logiciels (décret n° 2023-772)

Même si l’ordonnance ne faisait pas explicitement référence aux logiciels, le pouvoir exécutif a estimé que sa mise en œuvre nécessitait aussi des dispositions règlementaires en la matière.

Un décret ne concernant que les personnes morales de droit public

Le décret n° 2023-772 porte ainsi sur la contrepartie financière à verser aux auteurs de logiciels mais ne concerne que les personnes morales de droit public. Il vise à aligner pour les personnels ni salariés ni agents publics accueillis par un organisme public réalisant de la recherche « les règles d’intéressement sur celles applicables aux personnels permanents de recherche agents publics de la structure d’accueil », et d’assurer, « une égalité de traitement aux personnes contribuant au même effort de recherche ». Le décret n° 2023-772 est ainsi pris au visa du décret n°96-858 du 2 octobre 1996 relatif à l’intéressement de certains fonctionnaires et agents de l’Etat et de ses établissements publics ayant participé directement à la création d’un logiciel, à la création ou à la découverte d’une obtention végétale ou à des travaux valorisés.

L’exclusion des structures de recherche personnes morales de droit privé du champ d’application de ce décret n° 2023-772 se comprend aisément. Rappelons en effet que l’objectif de l’ordonnance est d’aligner le nouveau régime applicable aux non salariés sur celui applicable aux salariés desdites structures de recherche personnes morales de droit privé. Or, aux termes de l’article L. 113-9 du CPI, la dévolution à l’employeur des droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur n’est pas soumise à contrepartie financière. Il n’y avait donc pas lieu, pour remplir cet objectif, de prévoir une telle contrepartie financière pour les non salariés.

Le décret n° 2023-772 prévoit l’octroi aux personnes physiques concernées d’une prime d’intéressement aux produits tirés par la personne morale de droit public des créations logicielles. Il en précise les modalités de calcul qui sont similaires à celles définies pour les fonctionnaires et agents publics tant en ce qui concerne la détermination de l’assiette, du pourcentage que celle du coefficient représentant la contribution de l’auteur ou co-auteur (articles 3 à 5 du décret n° 96-858).

Des dispositions d’application dans le temps

Le décret n° 2023-772 prévoit, lui aussi, son application dans le temps. Le double jalon temporel est la réalisation de la création logicielle après la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance, soit le 17 décembre 2021, et le début de l’exploitation par la personne morale de droit public postérieurement à l’entrée en vigueur du décret 2023-772, soit le 14 août 2023.