par Anne-Sophie PILLOT, 8 juin 2023

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), par un arrêt du 22 décembre 2022, a été amenée à revenir sur la question de la responsabilité des plateformes de commerce en ligne. Elle a tranché dans une affaire concernant Amazon et la vente de produits contrefaisants par des tiers via sa plateforme de vente en ligne.

La société Amazon propose depuis de nombreuses années, via sa marketplace, des places de marché en ligne à des vendeurs tiers. Cette marketplace est une plateforme de commerce électronique sur laquelle Amazon héberge des annonces et facilite les transactions pour le compte de vendeurs indépendants, en parallèle de ses propres offres.

M. Christian Louboutin a créé et commercialise des chaussures à talons dont la célèbre semelle rouge est reconnaissable entre toutes, et l’apposition de la couleur rouge sur une semelle est protégée à titre de marque.

Une situation classique de présentation de produits contrefaisants

Il a été détecté la mise en vente de chaussures à semelles rouges sur une place de marché en ligne d’Amazon, sans le consentement de M. Christian Louboutin. Celui-ci a donc introduit deux recours en contrefaçon à l’encontre d’Amazon (l’un en Belgique, l’autre au Luxembourg) en reprochant à Amazon d’effectuer un usage non autorisé de sa marque selon l’article 9 paragraphe 2 du Règlement sur la marque de l’Union européenne 2017/1001 (RMUE).

Les cours nationales luxembourgeoise et belge ont alors saisi la CJUE de deux questions préjudicielles sur l’interprétation de l’article 9 paragraphe 2 du RMUE, disposant que :

« Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque :

  1. ce signe est identique à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée;
  2. ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque;
  3. ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’Union et que l’usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l’Union européenne ou leur porte préjudice.»

Une réponse inattendue de la Cour de justice : Amazon est responsable

Dans son arrêt, la CJUE a considéré que la société Amazon pouvait être tenue responsable de la distribution et de la promotion de produits contrefaisants par des vendeurs tiers sur sa plateforme de vente en ligne.

Bien que les produits contrefaisants en cause soient proposés par des vendeurs tiers et non par Amazon, les consommateurs, normalement informés et raisonnablement attentifs, peuvent penser que les produits contrefaisants sont commercialisés par Amazon, en son nom et pour son propre compte, notamment du fait de la présentation uniforme des offres d’Amazon et des vendeurs tiers et de la présence de son logo de distributeur renommé, y compris sur les annonces tierces, et des services de stockage et d’expédition des produits proposés aux vendeurs tiers.

Cette décision s’inscrit en rupture avec la jurisprudence antérieure qui tendait jusqu’alors à reconnaître l’irresponsabilité de ce type de plateforme de vente en ligne, dont le rôle se limitait à celui d’hébergeur des annonces, et les considérait comme irresponsables en cas de vente de produits contrefaisants par des tiers via cette plateforme.

Cette décision devrait avoir un impact particulier sur les plateformes de vente en ligne proposant des places de marché à des vendeurs tiers, puisqu’elles devront désormais surveiller que les produits mis en ligne par des tiers ne sont pas issus de la contrefaçon, au risque de voir leur responsabilité engagée en cas de contrefaçon avérée.

Nous attendons maintenant les décisions des juridictions nationales de renvoi qui devront trancher sur la question de la reconnaissance ou non de la contrefaçon.