Avec l’entrée en vigueur, le 19 janvier 2022, du Protocole sur l’application provisoire (PAP) de l’AJUB (l’« accord relatif à une juridiction unifiée du brevet »), un compte à rebours a démarré. La Juridiction Unifiée du Brevet (la « JUB ») et le Brevet à effet Unitaire (le « BU ») devraient devenir des réalités entre l’automne 2022 et le début de l’année 2023.

Cependant, le système étant complexe et le changement à terme important, le chemin sera long et progressif, et donc balisé de mesures de transition. Or, entre une « période transitoire » prévue dans l’AJUB, le protocole sur l’ « application provisoire » qui vient de débuter et les « mesures transitoires » décidées récemment par l’Office Européen des Brevets (OEB), il est facile de s’y perdre parmi l’ensemble des éléments temporaires déjà prévus. L’objet du présent article est de clarifier le sens de ces expressions à la sémantique similaire.

Quelques rappels sur les brevets à effet unitaire et l’exclusivité de la JUB

En parallèle de l’entrée en vigueur de la JUB sera mis en place le Brevet Unitaire (BU). Tous les brevets seront toujours délivrés par l’OEB, mais là où un brevet européen classique doit être validé puis maintenu en vigueur territoire par territoire pour y générer des effets, il sera désormais possible au titulaire, dans un délai d’un mois après la publication de la mention de délivrance du brevet européen, de requérir l’effet unitaire du brevet, sous réserve de quelques conditions, notamment le paiement d’une taxe afférente.

Le cas échéant, ce brevet à effet unitaire aura des effets, moyennant un maintien en vigueur centralisé, dans l’ensemble des États participants au Brevet Unitaire, soit, à l’heure où est rédigé cet article, dix-sept États de l’Union européenne (UE), avec l’espoir d’atteindre la vingtaine d’États à court terme et peut-être vingt-cinq voire les vingt-sept États de l’UE à long terme.

Mais, une fois ce système en place, quelle sera la juridiction à saisir en cas de litige impliquant un brevet ?

À terme, ce sera la JUB, et sans dérogation possible, qui disposera de la compétence exclusive des litiges tant sur les brevets européens classiques que sur les brevets européens dont l’effet unitaire aura été requis et obtenu. Les juridictions nationales des États associés à la JUB ne pourront donc plus être saisies pour traiter des litiges concernant les brevets délivrés par l’Office européen, qu’ils soient à effet unitaire ou non.

Mais, au lancement du système, la compétence exclusive de la JUB ne portera que sur les brevets à effet unitaire, tandis que cette compétence sera partagée avec les juridictions nationales pour les brevets non unitaires, et ce durant…

… une « période transitoire » de sept ans, renouvelable.

 Cette période transitoire est prévue par l’article 83 de l’AJUB. Elle est appelée « transitional period » en anglais et « Übergangszeit » dans le texte allemand de l’AJUB. Durant cette période transitoire, les titulaires comme les tiers pourront intenter des actions impliquant les brevets européens classiques, c’est-à-dire sans effet unitaire, au choix devant la JUB ou devant les juridictions nationales.

Cependant, les titulaires auront la possibilité de retirer cette compétence à la JUB pour que les éventuels litiges impliquant leurs brevets, par exemple les actions en nullité intentées par des tiers, soient obligatoirement traités par les juridictions nationales. Il leur faudra pour cela inscrire cette demande de dérogation, dite d’ « opt-out », sur le registre prévu à cet effet. Attention toutefois, cet « opt-out » sera possible uniquement si la JUB n’a pas déjà été saisie pour un litige concernant le brevet concerné.

La question de l’« opt-out » va donc être cruciale pour les titulaires, en particulier à l’égard de l’ensemble des brevets européens actuellement en vigueur. On peut en effet imaginer qu’un tiers intéressé intente une action en nullité dès que possible auprès de la JUB, par exemple le premier jour de son entrée en vigueur, empêchant alors, si cette action est valide, tout « opt-out » futur pour le brevet concerné.

Pour anticiper cette question et permettre aux titulaires de requérir des « opt-out » pour leurs brevets européens actuellement en vigueur, le registre permettant ces inscriptions va être ouvert avant l’entrée en vigueur du système, c’est-à-dire durant l’actuelle…

… application provisoire de l’AJUB…

… et plus précisément pendant la « sunrise period ».

Mais revenons d’abord sur le Protocole sur l’Application Provisoire (PAP) de l’AJUB. Ce protocole est prêt depuis octobre 2015. On parle de « provisional application » dans la version anglaise, et de « vorläufige Anwendung » dans sa version allemande. Il vise à organiser et faire monter en puissance le système jusqu’à son lancement formel, plutôt qu’à le lancer du jour au lendemain. C’est la ratification de ce protocole par l’Autriche le 19 janvier 2022, 13e État à le ratifier, qui a déclenché son entrée en vigueur. C’est donc cette période qui a débuté depuis le 19 janvier. Ainsi, en ce moment et pour les 6 à 10 prochains mois environ, la JUB adopte, dans le cadre de ce PAP, sa législation secondaire, son budget, sélectionne et commence à former des juges, et met en place notamment son système de gestion des dossiers.

Si la date de fin du PAP n’est pas connue, c’est qu’il est convenu, lorsque le système de la JUB et du BU sera jugé prêt, que l’Allemagne dépose son instrument de ratification de l’AJUB, entraînant l’entrée en vigueur, enfin, de la JUB, le premier jour du quatrième mois suivant.

C’est également cette ratification par l’Allemagne qui déclenchera, à trois mois de l’entrée en vigueur de la JUB, le début de la « sunrise period » évoquée plus haut.  Cette « sunrise period », c’est en fait l’ouverture du registre permettant d’inscrire les « opt-out ». En d’autres termes, les titulaires auront trois mois pour décider, avant le lancement de la JUB, s’ils souhaitent que leurs brevets européens actuellement en vigueur dérogent ou non à la compétence de la JUB en cas de litige. Bien sûr, il restera toujours possible de le faire ensuite, sauf, comme évoqué, à être devancé par une action intentée par un tiers devant la JUB.

Nous venons de parler de la JUB et de la manière dont il sera possible de déroger à sa compétence, et ce même par avance, pour les brevets européens classiques, c’est-à-dire sans effet unitaire.

Parlons maintenant des brevets à effet unitaire : on sait que cet effet pourra être requis, une fois la JUB entrée en vigueur, dans un délai d’un mois après la délivrance du brevet. Mais quid des brevets européens sur le point d’être délivrés au moment de l’entrée en vigueur de la JUB ?

C’est pour traiter cette question que l’OEB a émis deux communiqués, le 22 décembre 2021 pour informer de la mise en place future de…

… deux mesures transitoires.

L’expression « mesures transitoires » ne provient a priori pas directement de documents officiels, mais du site de l’OEB où elles sont détaillées. On trouve les expressions « transitional measures » et « Übergangsmassnahmen » dans les versions respectivement anglaise et allemande du site.

Les deux mesures offriront des possibilités qui seront ouvertes à partir du jour de la ratification par l’Allemagne de l’AJUB (donc 3 à 4 mois, comme on l’a évoqué, avant l’entrée en vigueur de la JUB) et pour les demandes de brevet européen pour lesquelles une notification selon la règle 71(3) CBE aura été envoyée.

La première mesure offrira aux titulaires la possibilité de déposer une demande d’effet unitaire anticipée pour leur futur brevet.

Si cette demande est acceptée, l’effet unitaire sera automatiquement inscrit pour le brevet concerné une fois la JUB entrée en vigueur, peu de temps après la délivrance du brevet, mais attention, seulement si la mention de délivrance est bien publiée après l’entrée en vigueur de la JUB. Cette mesure, qui consiste donc à donner plus de temps que prévu aux titulaires pour requérir l’effet unitaire de leur brevet, vise à « faciliter l’introduction du système du brevet unitaire », indique le communiqué de l’OEB. Son intérêt pratique ne semble pas, a priori, extraordinaire.

La deuxième mesure semble plus intéressante. En effet, elle offrira aux titulaires la possibilité de déposer une requête en report de la décision de délivrer le brevet européen.

Pourquoi reporter la délivrance ? C’est parce que, si cette requête est acceptée, l’OEB reportera sa décision de délivrance de manière à ce que la délivrance du brevet concerné ait lieu après l’entrée en vigueur de la JUB. Cette mesure permettra donc aux titulaires dont les brevets devaient être délivrés peu de temps avant l’entrée en vigueur de la JUB que ceux-ci soient finalement délivrés après cette entrée en vigueur, pour bénéficier, si le titulaire le demande alors, de l’effet unitaire.

Cette mesure semble bien plus fondamentale que la première, puisqu’elle permet de rendre possible l’effet unitaire pour des brevets qui n’auraient pas pu en bénéficier sinon. A moins que… D’aucuns suggèrent qu’il est de toute façon possible de faire reporter la délivrance d’un brevet en proposant une modification cosmétique du texte prévu pour la délivrance, de façon à commander une nouvelle notification selon la règle 71(3) CBE… On pourrait répondre qu’une telle pratique paraît tout de même moins « convenable » que l’utilisation d’une mesure ad hoc.

L’avenir dira si ces mesures se seront avérées utiles.

À noter que, pour les plus pressés, il semble possible, voire opportun, de prévoir de cumuler les deux mesures. En effet, la deuxième mesure permet de s’assurer que la mention de délivrance sera publiée après l’entrée en vigueur de la JUB, seule manière de disposer de la possibilité d’obtenir l’effet unitaire, tandis que la première permet de s’assurer que cet effet unitaire sera obtenu au plus vite. 

Des transitions à intégrer

Finalement, si les expressions « période transitoire », « application provisoire » et « mesures transitoires » peuvent rendre les échanges oraux compliqués quand il s’agit de discuter de l’avancée vers ce nouveau système, elles correspondent à des transitions menant vers d’importants changements, mais sur des aspects et temporalités très différents, et sont en ce sens essentielles à bien distinguer.

Viendront peut-être s’ajouter prochainement d’autres annonces à la sémantique similaire. Parlera-t-on par exemple de section « provisoire » de la division centrale de la JUB pour discuter du transfert à Paris de la section prévue initialement à Londres ? Les États qui rejoindront la JUB dans le futur bénéficieront ils d’une phase « transitoire » d’intégration ?

Des articles à venir permettront d’éclaircir ces futures annonces.