par Mathilde ESCUDIER, 22 juillet 2021

Sous certaines conditions, l’apparence d’un produit et notamment sa forme peut être protégée par un droit de propriété intellectuelle.

Une forme bien connue est celle de la fameuse brique LEGO, qui a fait l’objet d’un dépôt de dessin ou modèle devant l’EUIPO en 2010 et dont la validité a été contestée en 2016 par la société Delta Sport Handelskontor.

dépôt de dessin ou modèle devant l’EUIPO en 2010 de la brique LEGO

L’EUIPO a d’abord rejeté cette action en 2017 mais suite à un recours de la société Delta Sport Handelskontor, la troisième chambre de recours de l’Office a finalement prononcé la nullité du modèle en 2019.

Saisi de cette affaire par la société Lego, le Tribunal de l’Union Européenne a annulé la décision de la chambre de recours le 24 mars dernier (arrêt T‑515/19) notamment au motif d’une erreur de droit concernant l’article 8 du Règlement CE n° 6/2002, et a renvoyé l’affaire devant l’EUIPO.

I Que prévoit l’article 8 du Règlement CE n° 6/2002 ?

Cet article expose les limites de la protection d’un dessin ou modèle qui concerne une forme imposée par la fonction technique du produit, ou bien des dessins et modèles dits d’interconnexions.

En d’autres termes, voici ce que prévoit cet article 8 :

1. la forme d’un produit qui est exclusivement imposée par sa fonction technique ne peut être protégée par un dessin ou modèle,
2. la forme d’un produit qui est dictée de manière à ce qu’il puisse être raccordé à un autre produit ou mis en contact avec celui-ci ne peut être protégée par un dessin ou modèle,
3. par dérogation au paragraphe 2., une forme qui a pour objet de permettre l’assemblage ou la connexion multiples de produits interchangeables à l’intérieur d’un système modulaire peut être protégée par un dessin ou modèle.

Ce rappel est un peu technique mais il est essentiel puisque l’arrêt du Tribunal décortique cet article et condamne l’interprétation qu’en a eu l’EUIPO.

II Pourquoi le Tribunal a-t-il remis en cause le raisonnement de l’EUIPO ?

  •  L’arrêt du Tribunal indique que la troisième chambre de recours de l’EUIPO a commis une erreur de droit en n’étudiant pas si les conditions de l’exception prévue à l’article 8 paragraphe 3 du Règlement étaient remplies en l’espèce.

Or, le bénéfice de ces dispositions dérogatoires avait bien été porté à l’attention de la troisième chambre de recours par la société Lego.

Sur ce point, l’arrêt souligne qu’il importe d’interpréter l’ensemble des dispositions de l’article 8 du règlement no 6/2002 de telle manière que leur effet utile soit préservé.

  • Le Tribunal a également retoqué la troisième chambre de recours sur son analyse des caractéristiques de l’apparence du produit protégé par le modèle de la société Lego.

La chambre avait considéré que toutes les caractéristiques de l’apparence du produit concerné par le dessin ou modèle contesté étaient exclusivement imposées par la fonction technique du produit, à savoir permettre l’assemblage avec d’autres briques du jeu et le démontage.

 Toujours selon la chambre de recours, ces caractéristiques sont la rangée de pastilles sur la face supérieure de la brique, la rangée de cercles plus petits sur la face inférieure de la brique, les deux rangées de cercles plus grands sur la face inférieure de la brique, la forme rectangulaire de la brique, l’épaisseur des parois de la brique et la forme cylindrique des pastilles.

 La société Lego reproche notamment à la chambre de recours d’avoir ignoré les aspects créatifs de son modèle en mentionnant en particulier la surface lisse de deux côtés de la rangée de quatre pastilles de la surface supérieure.

 Effectivement cette surface lisse ne figure pas parmi les caractéristiques identifiées par la chambre de recours alors même que, selon le Tribunal, il s’agit d’une caractéristique de l’apparence du produit.

 Le Tribunal a donc considéré que la chambre de recours avait violé l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, dans la mesure où elle n’a pas identifié l’ensemble des caractéristiques de l’apparence du produit concerné par le dessin ou modèle contesté et, a fortiori, n’a pas établi que l’ensemble de ces caractéristiques étaient exclusivement imposées par la fonction technique de ce produit.

 III La nullité du modèle de la société Lego en suspens

 Par cet arrêt du Tribunal de l’Union Européenne, la décision d’annuler le modèle de la société Lego est remise en question et l’EUIPO devra de nouveau statuer en étudiant notamment si les conditions de l’exception prévu au paragraphe 3 de l’article 8 du Règlement sont réunies en l’espèce.

Nous verrons si cette nouvelle décision de l’EUIPO sera finalement rendue en faveur de la fameuse brique de jeu.