Nous revenons ici sur l’appréciation de la notion de mauvaise foi en droit des marques telle que développée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) au travers de la décision de principe Chocoladefabriken Lindt éclairée par la décision plus récente Koton.

En droit de l’UE, l’article 59 §1 b) du règlement (UE) 2017/1001 prévoit qu’une marque peut être annulée lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande. Toutefois, cette notion de mauvaise foi n’est en pratique définie par aucun texte.

Il est donc revenu aux juges d’en définir les critères applicables de manière uniforme dans l’Union et l’arrêt Chocoladefabriken Lindt ainsi que la décision plus récente Koton visent à remplir cet objectif.

1. Contexte des décisions

Pour mémoire, dans l’affaire C-529/07 Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG, la situation d’espèce était la suivante :

En Autriche et en Allemagne, des lapins en chocolat sont communément commercialisés depuis les années 1930 sous différentes formes et couleurs. Les formes individuelles des lapins en chocolat étaient très diverses lorsque ces derniers étaient fabriqués et emballés à la main, alors qu’avec l’introduction de l’emballage automatisé, les lapins fabriqués industriellement sont devenus de plus en plus similaires. Lindt & Sprüngli fabrique depuis le début des années 1950 un lapin en chocolat de forme très similaire à celui protégé par la marque tridimensionnelle en cause. Depuis l’année 1994, elle le commercialise en Autriche. En 2000, Lindt & Sprüngli a déposé et obtenu l’enregistrement de la marque tridimensionnelle Lapin Lindt & Sprüngli.

Cette marque est enregistrée pour les chocolats et les articles en chocolat relevant de la classe 30.

La société autrichienne Hauswirth commercialise quant à elle depuis 1962, des lapins en chocolat. Le lapin en cause dans le litige est le suivant : Lapin Hauswirth.

Une fois sa marque enregistrée Lindt & Sprüngli assigne la société Hauswirth en contrefaçon au motif que les lapins commercialisés par cette société créent une confusion avec la marque tridimensionnelle dont elle est titulaire.

Par demande reconventionnelle, la société Hauswirth agit en nullité de cette marque tridimensionnelle au motif que Lindt & Sprüngli était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de ladite marque.

La Cour autrichienne estime qu’il existe un risque de confusion possible entre les produits en cause mais interroge la CJUE sur les conditions d’appréciation de la demande reconventionnelle.

 

Dans le cas de l’affaire C-104/18 P Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret AŞ (Koton) vs. M. Nadal Esteban,

M. Nadal Esteban a déposé une demande de marque Stylo & Koton auprès de l’EUIPO visant à protéger des services relevant des classes 25, 35 et 39 à l’enregistrement de laquelle s’est opposée la société Koton, la requérante, sur la base des marques antérieures suivantes au motif visé à l’article 8, § 1, b), du règlement, à savoir l’existence d’un risque de confusion avec une marque antérieure similaire.

– la marque enregistrée à Malte en classes 25 et 35, Marque semi-figurative Koton , et

– la marque internationale ayant effet dans plusieurs États membres de l’Union européenne en classes 18, 25 et 35, Marque semi-figurative Koton

Dans sa décision d’opposition, confirmée par la chambre de recours, l’EUIPO a reconnu l’opposition justifiée pour les classes 25 et 35. Toutefois, l’opposition a bien entendu été rejetée pour la classe 39 conformément au principe de spécialité et la demande de marque contestée Marque Stylo & Koton a été enregistrée pour les services de la classe 39.

Dès lors, la société Koton a présenté une demande en nullité de cette marque sur le fondement de l’article 52, § 1, b), du règlement 207/2009 (alors en vigueur), à savoir, la mauvaise foi du demandeur.

La division d’annulation de l’EUIPO puis la chambre de recours de l’EUIPO ayant rejeté cette demande en nullité à défaut de preuve suffisante pour établir la mauvaise foi du demandeur, la requérante a saisi le Tribunal de l’UE qui a à nouveau rejeté ce recours.

La requérante forme donc un pourvoi devant la CJUE.

 

2. La définition de la mauvaise foi par la CJUE et les éléments de preuves permettant de la qualifier

Selon l’arrêt Chocoladefabriken Lindt, la juridiction nationale est tenue de prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce et existant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque communautaire, et notamment :

1. le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé ;

2. l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe ;

3. le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l’enregistrement est demandé.

Dans le cadre de l’arrêt Koton, la Cour rappelle que dans le cas Chocoladefabriken Lindt, les juges se prononçaient dans un contexte où il était acquis que les produits en cause étaient identiques ou prêtant à confusion. Elle précise que la demande de marque réalisée de mauvaise foi pourrait avoir été déposée en l’absence d’identité ou de similarité entre les signes et les produits ou services.

En effet, selon l’arrêt Chocoladefabriken Lindt, tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce et existant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement doivent être pris en considération dans le cadre d’une appréciation globale. Ainsi, des circonstances factuelles autres que l’existence d’un risque de confusion peuvent permettre d’établir la mauvaise foi du demandeur.

Dès lors, pour annuler l’arrêt attaqué, la Cour pointe le fait que le Tribunal, qui avait fait de l’existence d’une identité ou d’un risque de confusion entre les signes et les produits et services, une condition préalable essentielle, a commis une erreur d’appréciation et interprété le règlement de manière trop restrictive.

En effet, le Tribunal n’a pas étudié tous les facteurs pertinents présents au moment du dépôt de la demande contestée comme le fait de déposer le mot stylisé KOTON pour des services différents (classe 39) et des produits et services identiques et similaires (classes 25 et 35) à la marque de la requérante ; l’existence de relations commerciales entre les parties ou le fait de chercher à savoir si un tel dépôt présentait une logique commerciale. Autant d’éléments qui auraient éventuellement pu conduire à caractériser la mauvaise foi.

Par cet arrêt Koton, la CJUE entend ainsi préciser que la mauvaise foi d’un déposant pourrait être reconnue même en l’absence de risque de confusion.

Cette précision apparaît conforme aux critères de principe de l’arrêt Chocoladefabriken Lindt et rappelle que la notion de mauvaise foi est plus large que la notion de droit antérieur : l’action en nullité fondée sur la mauvaise foi ne saurait reposer sur les mêmes critères que ceux de l’opposition ou de la nullité relative. Il s’agit d’un principe général du droit qui ressort de l’adage « fraus omnia corrumpit » (la fraude corrompt tout).