par Céline THIRAPOUNNHO, 12 mai 2020
Par arrêt rendu le 18 septembre 2019, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé le principe suivant : dès lors que la renommée d’une marque communautaire[1] antérieure est établie sur une partie substantielle du territoire de l’Union, il ne saurait être exigé du titulaire de cette marque qu’il apporte la preuve de cette renommée sur le territoire de l’État membre où la demande de marque contestée a été déposée.

Rappelons au préalable que le Règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017[2] permet au titulaire d’une marque de l’union Européenne d’interdire à tout tiers de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou similaire à la marque de l’Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne (antérieure) est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’Union et que l’usage de ce signe par le tiers sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l’Union européenne.

Il ressort de ce texte que la marque de renommée bénéficie d’un régime spécial de protection car il n’est exigé ni identité ou similitude des produits ou services, ni risque de confusion (contrairement au régime traditionnel de protection des marques enregistrées). La marque de renommée bénéficie ainsi d’une protection élargie et déroge au principe dit de spécialité des marques.

Mais comment démontrer la renommée d’une marque ?

Les critères ont été progressivement précisés par la jurisprudence. Ainsi notamment, selon un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 6 octobre 2009[3], pour bénéficier de la protection prévue au titre des marques de renommée, une marque communautaire doit être connue d’une partie significative du public concerné par les produits ou les services couverts par elle, dans une partie substantielle du territoire de la Communauté Européenne.

C’est cette notion de « partie substantielle » du territoire de la Communauté Européenne qui fait l’objet de la décision qui nous intéresse : faut-il que la marque antérieure soit significativement connue dans le pays dans lequel la marque adverse a été déposée ?

La marque MERCI en question

La société titulaire de la marque communautaire MERCI, déposée en 2004 pour désigner des sucreries, chocolat et produits à base de chocolat, pâte pour gâteaux, a formé opposition contre la demande d’enregistrement de la marque MERCI QUERCY déposée en 2015 en France pour désigner divers produits d’alimentation et des services commerciaux.

L’opposition ayant été rejetée, la société titulaire de la marque MERCI a formé un recours devant la Cour d’appel, en vain puisque le recours a été rejeté par arrêt du 25 avril 2017.

La renommée refusée par les juges d’appel

Les juges ont reconnu qu’il était prouvé que la marque antérieure MERCI jouit d’une renommée dans une partie substantielle du territoire de l’Union Européenne (Allemagne et Autriche) depuis près d’une cinquantaine d’années (outre quelques autres pays européens).

Cependant, ils relèvent que les volumes de vente en France (pays dans lequel la marque contestée a été déposée) étaient très faibles par rapport à ceux réalisés dans les pays où la marque MERCI jouit d’une renommée. Selon eux, il n’était donc pas démontré que la marque MERCI serait connue d’une partie significative du public pertinent.

En d’autres termes, la Cour d’appel a requis la démonstration de la renommée de la marque antérieure dans le pays ou la marque contestée avait été déposée (en l’occurrence, la France).

La décision de la CJUE Iron & Stamp

La Cour d’appel fonde son raisonnement sur l’interprétation d’une décision rendue par la CJUE le 3 septembre 2015[4].

Pour la CJUE, la notion de renommée suppose que la marque soit connue sur une « partie substantielle » du territoire de l’Union européenne et que cette « partie substantielle » puisse coïncider avec le territoire d’un seul État membre.  Elle précise alors qu’il n’est pas exigé du titulaire de la marque qu’il apporte la preuve de cette renommée sur le territoire de l’État membre où la demande de marque postérieure a été déposée (en l’occurrence la Hongrie).

Dans cette affaire, le fait que la marque invoquée ne soit pas renommée sur le territoire de la Hongrie n’empêchait donc pas qu’elle soit qualifiée de marque communautaire renommée. Mais la CJUE avait toutefois précisé que dans ces circonstances, une marque était qualifiée de renommée uniquement si (i) « une partie commercialement non négligeable du public » connait ladite marque et établit un lien entre celle-ci et la marque nationale postérieure et (ii) il existe « soit une atteinte effective et actuelle à la marque communautaire, soit, à défaut, un risque sérieux qu’une telle atteinte se produise dans le futur ».

La CJUE avait ainsi adopté une position souple et pragmatique en introduisant une nuance entre la preuve que la marque invoquée soit connue d’une « partie significative du public concerné » et la preuve qu’une « partie commercialement non négligeable » de ce public connaisse ladite marque.

Interprétation erronée de la notion de renommée ?

Au lieu donc de rechercher si une « partie commercialement non négligeable » du public français connaissait la marque MERCI, la Cour d’appel a rejeté le recours aux motifs qu’il n’était pas démontré que la marque invoquée était « connue d’une partie significative » dudit public français.

Dans son arrêt du 18 septembre 2019, la Cour de cassation a logiquement censuré le raisonnement de la Cour d’appel, et rappelé une nouvelle fois :

  • dès lors que la renommée d’une marque communautaire antérieure est établie sur une partie substantielle du territoire de l’Union, pouvant, le cas échéant, coïncider avec le territoire d’un seul État membre, il y a lieu de considérer que cette marque jouit d’une renommée dans l’Union ;
  • il ne saurait être exigé du titulaire de cette marque qu’il apporte la preuve de cette renommée sur le territoire de l’État membre où la demande d’enregistrement de la marque nationale postérieure, faisant l’objet d’une opposition, a été déposée.

L’affaire a été renvoyée, et sera dès lors à nouveau examinée par la Cour d’appel de Paris, autrement composée.

 

[1] Aujourd’hui marque de l’Union européenne

[2] Remplaçant le règlement (CE) 207/2009 sur la marque communautaire, applicable à l’époque des faits

[3] CJUE, Pago, affaire C-301 du 6 octobre 2009

[4] CJUE, Iron & Smith, décision C‑125/14 du 3 septembre 2015

 

 

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