21 novembre 2019

La règlementation de l’usage d’une marque constituée par un nom patronymique ne sera pas prononcée par le juge en l’absence de requête explicite par le demandeur. De plus, le licencié d’une marque soumise à un règlement d’usage doit respecter ce règlement au même titre que le titulaire de la marque : c’est notamment ce qu’ont considéré les juges de la cour d’appel de Lyon dans un arrêt du 29 novembre 2018.

Les faits antérieurs à cet arrêt et ayant conduit à celui-ci sont les suivants :

Chronologie des faits

D’une part, la SAS POILÂNE, dirigée par Pierre Poilâne, est titulaire de la marque «POILÂNE» déposée en 1974 et désignant notamment des produits et services en lien avec son activité de boulangerie.

D’autre part, la SARL Max Poilâne, dirigée par son homonyme, est  titulaire de la marque «Max Poilâne» déposée postérieurement à celle de la SAS POILÂNE et désignant aussi des produits et services relatifs à son activité de boulangerie.

La SAS POILÂNE, estimant que la marque « Max Poilâne » entraînait un risque de confusion avec sa marque causé par la similitude des ainsi que par l’identité de leurs produits et services respectifs, avait saisi la justice afin de faire interdire l’usage de la marque « Max Poilâne » et de la faire annuler.

L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 9 décembre 1992 règlementant l’usage de la marque «Max Poilâne»

Cependant, la cour d’appel de Paris n’a pas fait droit aux demandes de la SAS POILÂNE, mais a seulement réglementé l’usage de la marque litigieuse en ce que Max Poilâne et sa société du même nom «ne pourront employer pour un usage commercial, le patronyme P[oilâne] à titre de marque, dénomination sociale, nom commercial ou enseigne dans leurs papiers d’affaires et publicités et emballages, qu’en le faisant précéder immédiatement sur la même ligne du prénom MAX dans les mêmes caractères de mêmes dimensions de même couleur et de même tonalité, et en y ajoutant immédiatement en dessous en caractères lisibles l’adresse ou les adresses de leurs établissements».

Ultérieurement à ces faits, la société Max Poilâne a concédé une licence sur sa marque à la SAS Julien Poilâne qui exerce par ailleurs aussi dans le domaine de la boulangerie, Max étant le père de Julien.

Suite à la concession de cette licence, la société POILÂNE a assigné la société Julien Poilâne le 19 juin 2006 devant le tribunal de grande instance de Lyon, afin qu’il lui soit interdit d’exploiter la dénomination POILÂNE notamment sous les formes «Julien Poilâne» et «Max Poilâne», aux motifs que l’usage par la société Julien Poilâne de sa dénomination sociale et de son enseigne constituait une contrefaçon de la marque «POILÂNE», et que l’exploitation de cette marque ne respectait pas le règlement d’usage prévu par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 9 décembre 1992.

Sur le jugement du TGI de Lyon du 14 février 2013

Le tribunal de grande instance de Lyon a alors rendu son jugement en considérant que l’utilisation de la dénomination « Julien Poilâne » à titre de dénomination sociale par la société du même nom ne portait pas atteinte aux droits de la société POILÂNE sur sa marque. Toutefois, le tribunal a considéré que l’utilisation, par la société Julien Poilâne, de la marque «Max Poilâne» à titre d’enseigne constituait des actes de contrefaçon de la marque «POILÂNE» en ce que cette utilisation ne respectait pas la réglementation de l’usage de la marque «Max Poilâne» imposée par l’arrêt de 1992, et a ordonné en conséquence la cessation de cet usage non conforme, le règlement d’usage s’imposant aussi au licencié.

L’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 29 novembre 2018 infirmant partiellement le jugement du TGI

 Mécontente du jugement, la société POILÂNE a interjeté appel de cette décision, ce qui a donné lieu à l’arrêt de la cour d’appel de Lyon par lequel celle-ci a considéré que :

 – Dans la mesure où Julien Poilâne est l’actionnaire majoritaire et le président de la société portant son nom, et qu’il exerce réellement au sein de sa société des fonctions de contrôle et de direction, la bonne foi de la société Julien Poilâne dans l’emploi du patronyme de son dirigeant est donc établie. Ainsi, ladite société est fondée à invoquer l’exception d’homonymie prévue par l’article L713-6 a) du code de la propriété intellectuelle.  Néanmoins, la cour d’appel considère tout de même qu’il existe un risque de confusion entre les signes «POILÂNE» et «Julien Poilâne» qui justifierait une réglementation de ce dernier, ce que la société POILÂNE n’a pas demandé. Dès lors, la règlementation de l’usage d’une marque ne peut être prononcée par le juge en l’absence de requête explicite par le demandeur.

 – En outre, la société Julien Poilâne exploitant sous licence la marque «Max Poilâne», soumise à un règlement d’usage, de façon contraire à celui-ci en ce qu’aucune adresse d’établissement ne figurait sur les enseignes soumises à ce règlement, elle a commis une contrefaçon et engagé sa responsabilité civile envers la société POILÂNE.  Ainsi, la cour d’appel de Lyon a confirmé que les dispositions d’un règlement d’usage d’une marque s’imposent au titulaire mais également au licencié, et a ordonné en conséquence de faire cesser cet usage non conforme.

Cette décision rappelle notamment à juste titre qu’une juridiction ne peut pas statuer ultra-petita, c’est-à-dire au-delà de ce qui a été demandé. Il convient donc d’être particulièrement attentif aux demandes à formuler en cas de procès et d’envisager toutes les requêtes possibles. Cela est particulièrement vrai en matière de nom patronymique dont l’interdiction d’usage est souvent demandée mais finalement plutôt règlementée si le défendeur est de bonne foi.

Article rédigé par Bilal Selhaoui du cabinet LLR