24 octobre 2019

La jurisprudence française semble évoluer concernant les pages archivées par Internet Archive, organisme américain qui se consacre à l’archivage du Web : une décision reconnaissant leur valeur probante a été rendue le 5 juillet 2019 par la Cour d’appel de Paris.

Depuis de nombreuses années, la « Wayback Machine », développée par Internet Archive, organisme américain à but non lucratif, stocke et indexe ce qui se trouve sur le Web. Elle permet ainsi à ses utilisateurs de visualiser les versions archivées de pages Web à travers le temps.

Ces versions archivées peuvent-elles constituer des preuves ? C’est le cas pour la plupart des offices de propriété intellectuelle. Tout comme l’office américain (USPTO), l’Office européen des brevets (OEB), l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) et l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) acceptent comme preuves, depuis plusieurs années, les pages archivées par Internet Archive.

Le site de l’USPTO cite, explicitement et à de nombreuses reprises (entre autres, dans un paragraphe intitulé Internet Publications), les pages archivées par la « Wayback Machine » comme pouvant faire partie des documents constituant l’art antérieur à considérer pour apprécier la brevetabilité d’une invention.

Les Directives (G-IV-7.5.4 : Divulgations non datées ou dont la date n’est pas fiable)  de l’OEB, quant à elles, précisent que la « Wayback Machine » peut être utilisée pour prouver la date de publication d’une page internet en tant qu’art antérieur.

De même, dans le numéro de juin 2017 de son magazine Alicante News, l’EUIPO indiquait : « the    Wayback    Machine    can    be    considered   a   useful   tool   for   the   purpose   of   establishing  the  disclosure  of  designs  on  internet » et ajoutait « the Office, in principle, accepts archived web pages as evidence with the corroboration of other proof ».

Quant à l’OMPI, il accepte comme preuves les pages archivées par Internet Archive dans le cadre de ses procédures de règlement des litiges relatifs aux noms de domaine.

Qu’en est-il de la France ? L’INPI a très récemment admis, dans sa décision n° 2018-3261 du 29 janvier 2019, qu’il « n’y [avait] pas lieu de refuser [les pièces issues du site Wayback Machine] ».

A l’inverse, les tribunaux français hésitaient jusqu’à présent à reconnaître la valeur probante des pages Internet archivées par la « Wayback Machine ». La Cour d’appel de Paris a ainsi considéré dans son arrêt n° 09/12757 du 2 juillet 2010 qu’un constat d’huissier de justice des recherches effectuées sur le site d’archives était dépourvu de toute force probante.

La situation pourrait cependant évoluer et la jurisprudence des tribunaux français s’aligner sur celle des offices de propriété intellectuelle : dans un arrêt rendu récemment (CA Paris, pôle 5 – ch. 2, 5 juill. 2019, n°17/03974), la Cour d’appel de Paris a en effet considéré qu’il n’y avait pas lieu d’écarter, ou d’annuler, le procès-verbal d’un constat qu’un huissier avait dressé à partir du site Internet Archive. La société Allopneus, qui cherchait à faire reconnaître ses droits d’auteur sur son site internet, a ainsi pu apporter la preuve de la création de celui-ci à une date certaine.

Bien que cet arrêt de la Cour d’appel de Paris puisse faire jurisprudence en matière de preuve de la possession d’un droit d’auteur, reste à savoir si des pages archivées dans la « Wayback Machine » pourraient être utilisées par les tribunaux français dans le cadre d’une procédure d’annulation d’un titre de propriété industrielle. Affaire à suivre…