par Aurélien BARETY, 27 juin 2019

En l’absence de règlement établi entre les copropriétaires d’un brevet français, la copropriété est régie par les dispositions des articles L. 613-29 à L. 613-31 du Code de la propriété intellectuelle. Néanmoins, les aspects qui ne sont pas couverts par le Code relèvent de la discrétion du tribunal. Le cas présenté dans ce qui suit montre les raisonnements suivis par le tribunal de grande instance et la cour d’appel de Paris pour se prononcer sur, d’une part, la répartitions des quotes-parts des copropriétaires d’un brevet et, d’autre part, le droit d’exploitation du brevet par les copropriétaires.

Le jugement du tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre, 2e section, en date du 13 mai 2016, 2011/11185, concerne l’affaire opposant Alain F., prothésiste dentaire, et Jean C., docteur en chirurgie dentaire et implantologiste, qui ont déposé en tant que co-inventeurs la demande de brevet français FR-2 916 626 sans qu’il ne soit établi de règlement de copropriété. On rappelle que la copropriété des brevets français est régie par les articles L. 613-29 à L. 613-31 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), l’article L. 613-32 CPI indiquant lui que les copropriétaires peuvent déroger aux dispositions des trois articles précédents à tout moment par un règlement de copropriété.

Le tribunal est ici confronté à la question concernant la répartition des quotes-parts du brevet attribuées aux copropriétaires. En l’absence de règlement de copropriété, c’est au juge de déterminer la répartition de la propriété du brevet. A cette fin, il a d’abord ordonné une procédure d’expertise, laquelle s’est conclue par une répartition des quotes-parts de Alain F. et Jean C. fixées par l’expert respectivement à 65% et 35%.

Une discussion a également été abordée quant à l’exploitation du brevet. En effet, « les parties se sont aussi opposées sur la concession de licences d’exploitation non autorisées par Jean C. aux sociétés Jean CAPSAL et ESI, et par Alain F. aux sociétés Positdental et Cristalceram ».

Répartition de la quote-part de chacune des parties

La répartition proposée par l’expert mandaté, que le tribunal considère comme insuffisamment démontrée, n’a pas été suivie principalement pour la raison  que l’invention objet du brevet a nécessité aussi bien les compétences et les connaissances de chirurgie dentaire d’Alain F. que celles du prothésiste Jean C.. Dans ces conditions, le tribunal a jugé qu’il « convient de fixer la part contributive de chacun à hauteur de 50% ».

Saisie, la cour d’appel de Paris a confirmé et complété ce  raisonnement  dans sa décision du 15 mai 2018 (pôle 5, 1ère chambre, 2016/15080). Elle a notamment considéré la participation des deux co-inventeurs à la préparation du projet de demande de brevet avec le cabinet B. de conseil en propriété industrielle. En outre, le cabinet B. avait préparé un projet de règlement de copropriété du brevet qui stipulait entre autres que « la propriété des droits sur l’invention ainsi que sur les brevets est divisée en quotes-parts réparties de la façon suivante : Monsieur Jean C. : 50 %, Monsieur Alain F. : 50 % ». Au surplus, les frais de dépôt et de maintien en vigueur du brevet ont été pris en charge de manière égale entre les deux copropriétaires. Ces indices supplémentaires ont incité la cour d’appel à confirmer le jugement de première instance.

Exploitation du brevet

Le tribunal a rappelé que, conformément aux dispositions de l’article L. 613-29 CPI, « chacun des copropriétaires peut exploiter l’invention à son profit, sauf à indemniser équitablement les autres copropriétaires qui n’exploitent pas personnellement l’invention ou qui n’ont pas concédé de licences d’exploitation. A défaut d’accord amiable, cette indemnité est fixée par le tribunal de grande instance ».

Dans le cas présent, Alain F. et Jean C. ne contestent pas avoir exploité au moins personnellement l’invention objet du brevet du fait de l’absence d’accord entre les deux parties. Dans ces conditions, le tribunal a débouté les co-inventeurs de leurs demandes respectives et la cour d’appel a confirmé ce jugement. Il s’agit ici d’une application directe et logique de l’article L. 613-29 CPI auquel Alain F. et Jean C. ne pouvaient déroger que par l’établissement d’un règlement de copropriété.

Quel enseignement à retenir sur la copropriété de brevet ?

Cette affaire permet d’identifier des indices qui peuvent être utilisés par le tribunal ou la cour d’appel pour apprécier, de manière pragmatique, une copropriété de brevet.

Un autre enseignement de cette affaire est que l’établissement d’un règlement de copropriété est fortement conseillé au moment du dépôt de la demande de brevet car il s’agit d’une étape de la vie du brevet où les co-déposants sont vraisemblablement en phase. Or, cet état peut ne pas durer pour de multiples raisons comme en peut l’attester la présente affaire, soulignant l’intérêt de se mettre dès que possible d’accord sur ce sujet.