par Gilles ESCUDIER, 12 mars 2019

Décision de nullité du 21/12/2017 N° ICD 10500 d’un modèle de l’Union européenne pour un bouchon de liège

Une décision de la division d’annulation de l’EUIPO (Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle) vient rappeler qu’en l’absence de caractéristique esthétique indépendante de la fonction, un modèle européen peut être annulé. Elle s’est notamment référée dans son analyse à l’existence d’un brevet déposé par le même titulaire, en appliquant le règlement N° 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001.

FAITS

La société Au Liégeur – ETS J. Pontneau Denis a obtenu l’enregistrement d’un modèle de l’Union européenne le 17 janvier 2013 pour des bouchons tels que reproduits ci-après :

annulation d'un modèle européen

La société Compagnie des Salins du Midi et des Salins de l’Est a déposé une demande de nullité à l’encontre de ce modèle en se fondant sur :

    • Le fait que la forme du modèle est imposée par sa fonction technique,
    • L’existence d’un brevet au nom du titulaire expliquant les caractéristiques techniques du modèle liées à la forme, selon les dessins suivants tirés de la demande de brevet :

annulation d'un modèle européen

annulation d'un modèle européen

DISCUSSION : caractère esthétique ou purement fonctionnel des différents éléments du bouchon ?

Le demandeur a insisté sur les points suivants pour faire valoir la nullité du modèle qui, selon lui, ne présente pas de qualités esthétiques dans la mesure où :

    • L’épaisseur du bouchon a été retenue pour une meilleure préhension et une résistance à l’effort lors du désemboîtage du bouchon par rapport au récipient
    • Une partie supérieure plus large du bouchon présenterait des inconvénients techniques de fragilité et de risque d’ouverture involontaire du récipient
    • La forme du bouchon retenue est le plus simple possible avec une surface plane.

Le défendeur a avancé les arguments suivants pour tenter d’écarter l’action du demandeur :

    • La partie technique du bouchon se concentrerait sur sa partie inférieure,
    • La partie supérieure du bouchon serait constituée de trois caractéristiques : son épaisseur, son diamètre et sa forme,
    • L’ensemble du bouchon présenterait aussi des particularités tenant à sa matière, le liège, et ses proportions.

DECISION : la division a aussi pris en compte l’existence d’un brevet déposé par le titulaire pour protéger le même bouchon

La division d’annulation rappelle les principes selon lesquels la protection d’un modèle est refusée, par l’article 8 du règlement N° 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 aux caractéristiques de l’apparence d’un produit qui ont été choisies dans le seul but de permettre au produit de remplir sa fonction, par opposition aux caractéristiques qui ont été choisies, au moins dans une certaine mesure, dans le but d’améliorer l’apparence du produit.

Toutefois, la division rappelle que le fait qu’une caractéristique du produit se voit refuser la protection en vertu de l’article 8 ne veut pas dire que le modèle dans son intégralité doit être déclaré nul.

Il faut donc que chaque caractéristique essentielle soit étudiée séparément.

Pour cela, la division d’annulation s’aide du brevet déposé par le défendeur et invoqué par le demandeur pour soutenir sa demande de nullité.

C’est ainsi que la division aboutit à la conclusion que les dessins du bouchon présentent comme caractéristiques :

  • Un dispositif de bouchage en liège, matière retenue pour ses qualités techniques,
  • Un épaulement délimitant une partie de préhension et une partie de bouchage d’un diamètre inférieur à celui de la partie de préhension,
  • Une partie de bouchage présentant une bordure circulaire proximale longeant ledit épaulement, présentant une gorge, de manière à ce qu’un renflement circulaire vienne s’engager à l’intérieur de la gorge, lorsque la partie de bouchage est enfoncée à travers l’ouverture.

Partant, la division d’annulation estime que tout élément contribuant à l’aspect visuel du modèle remplit une fonction technique et n’est pas le résultat de choix esthétiques arbitraires.

Dès lors, la demande de nullité est accueillie et le modèle déclaré nul.

COMMENTAIRE

Cette décision est intéressante du fait qu’elle vient annuler un modèle de l’Union européenne qui a pourtant été enregistré. La protection accordée par cet enregistrement reste donc potentielle mais peut toujours faire l’objet d’une attaque par un tiers intéressé.

Il faut rappeler qu’en Union européenne comme en France, les dépôts de modèles font l’objet d’un examen formel mais non sur le fond de sorte que ces modèles bénéficient d’une présomption de protection qui peut toujours être combattue comme cela l’a été ici avec succès.

L’enregistrement d’un modèle n’est donc pas définitif et il est important pour un déposant d’évaluer la validité et la solidité des droits qu’il pense acquérir et donc d’étudier l’intérêt d’effectuer le dépôt envisagé.