12 décembre 2017

Sans doute instruits par les déboires des distributeurs de phonogrammes ou de vidéogrammes, de nombreux auteurs se sont penchés sur les conséquences juridiques de l’apparition des imprimantes 3D dans le champ de la consommation de masse.

Les droits de la propriété intellectuelle seraient-ils une nouvelle fois bafoués par les fabs-labs ou autres ateliers collaboratifs, et par les machines dorénavant accessibles aux particuliers et disponibles dans les chaines de la grande distribution ?

Voici quelques réflexions pour rassurer les créateurs qui auraient peur que l’impression 3D soit source de violation de leur propriété intellectuelle.

Les outils actuels du droit de la PI comme protection de base

A y regarder de plus près, il apparaît que les dispositions actuelles couvrent largement les différentes étapes de la réalisation de ces objets nouveaux venus dans l’espace des usagers.

Ainsi, le droit de la propriété littéraire et artistique permet de protéger l’originalité des œuvres et le droit du créateur à autoriser ou non sa reproduction. Ces dispositions pourraient également interdire la création et la mise en ligne de fichiers CAO reproduisant une œuvre protégée ainsi que le téléchargement d’un fichier dont la source serait illicite. Le droit des dessins et modèles protège l’aspect ornemental ou esthétique d’un objet, tandis que le droit des brevets protège la fonction technique de création de fichiers reproduisant des objets protégés par le droit d’auteur, et le droit des marques tridimensionnelles permet de distinguer un produit de ceux de la concurrence.

Des moyens techniques nouveaux pour lutter contre la copie privée

Il convient de distinguer le cas où ces actes de contrefaçon potentielle sont réalisés par un particulier qui pourrait se prévaloir de l’exception pour copie privée, et les actes commis par des professionnels qui utiliseraient les produits dans le commerce.

Au même titre que la protection des droits audiovisuels, le coût des actions à entreprendre pour faire valoir ses droits auprès d’un grand nombre d’acteurs potentiels pourraient apparaître exorbitant.

Certains suggèrent de munir les fichiers numériques de signatures bloquant l’usage des imprimantes, de tagger les pièces d’origine, de faire payer une taxe pour chaque imprimante vendue, et d’autres prétendent pouvoir s’attaquer aux plateformes de données ou aux hébergeurs.

Les problèmes potentiels liés au respect des normes de sécurité et à la responsabilité civile engagée du fait de la reproduction d’une pièce originale qui s’avérerait défectueuse méritent également d’être signalée.

Alors, y a-t-il lieu de s’inquiéter ?

Plus de peur que de mal

Les prévisions des meilleurs futurologues au détour des années 2000 laissaient prévoir l’explosion des ventes d’imprimantes 3D, et un usage généralisé de ces nouveaux moyens par le grand public.

Quelques années plus tard, force est de constater qu’il n’en a rien été.

Les raisons de cette déconvenue résident dans une pluralité de facteurs.

Le premier facteur tient au fait que, pour longtemps encore l’impression 3D grand public reste limitée à la fabrication d’objets en matière plastique de qualité médiocre, et que l’accès à des matériaux plus adaptés à un usage spécifique va rester réservé aux professionnels disposés à consentir des investissements importants en machines et en recherche de matériaux innovants aptes à être mis en œuvre sur ces imprimantes spécialisées.

Le nombre d’objets qu’il pourrait être intéressant de contrefaire se limite aujourd’hui à des jouets de taille réduite ou à des petits articles de mode.

Une autre raison tient au fait que, au-delà de la satisfaction d’une curiosité bien comprise, les applications concrètes n’ont pas vu le jour. Et la perspective de pouvoir refaire soi-même, à son domicile, les pièces défectueuses de son appareil électroménager en panne, reste encore bien lointaine.

Enfin, la faible productivité de ces procédés rend l’impression 3D de produits de masse peu compétitive à l’égard des procédés traditionnels de fabrication par enlèvement de matière ou par moulage.

L’impression 3D, facteur d’innovations bien plus que de contrefaçons ?

En revanche, la fabrication additive est devenue, et pour longtemps encore, un formidable terrain de jeux pour les fabricants de machines, pour les développeurs de matériaux et de produits en raison des perspectives techniques qu’elle permet d’entrevoir. La fabrication de prothèses dentaires ou osseuses, l’élaboration couche par couche de tissus cellulaires originaux, le prototypage rapide, la réalisation de médicaments présentant des dosages spécifiques, la production d’aubes de réacteurs, la réalisation de blocs moteurs allégés, ou encore d’une maison d’habitation, ainsi que toute une série de produits encore à inventer, engagent une pluralité d’acteurs de haut niveau dans une course à l’innovation. A chacun de ces produits, une imprimante adaptée et un matériau spécifique.

Et la protection intellectuelle des inventions qui en découlent reste un enjeu majeur des industriels impliqués dans ces recherches.

De plus, la possibilité de fabriquer des pièces à l’unité peut s’avérer rentable dans certaines industries, en particulier pour les pièces de rechange, et les modes de production de stockage et de distribution pourraient en être grandement améliorés.

En conclusion, cette technologie inventée dans les années 80, et qui arrive progressivement à maturité, a suscité des craintes sans commune mesure avec les espoirs qu’elle fait naître aujourd’hui. L’avènement des machines-outils à commande numériques dans les années 60 n’avait pas connu un scénario semblable.

Sources documentaires

  • L’impression 3D, impacts économiques et enjeux juridiques Fatima Ghilassene, dossiers de la direction des Etudes de l’INPI N° 2014-04-Septembre 2014
  • L’impression 3D et le droit de la propriété industrielle Elsa Malaty et Guida Rostama OMPI Magazine Février 2017
  • Are you 3DP ready ? Stella Wong, Hogan Lowells 2017 International 3D Printing Mars 2017.
  • Contrefaçon dans le cadre de l’impression 3D : responsabilités et remèdes, Caroline Le Goffic, Regards d’experts Dossiers de la direction des Etudes de l’INPI.
  • Propriété intellectuelle et Fab Labs Quelle gestion des droits de propriété intellectuelle dans les Fab Labs et plateforme de création numérique : Proposition de pistes de reflexion Sabine Diwo-AllainRegards d’experts Dossiers de la direction des Etudes de l’INPI.