par Agnès PICON, 12 avril 2019

Cas II – Décision de la Cour d’appel de Paris : K. Hartwall OY Ab (Finlande) c. Touraine Emballage Recyclage Sas, 28 novembre 2017

Dans un article il y a quelques mois, nous avions présenté la contrefaçon de brevet par équivalence, à travers deux cas pour lesquels les juges avaient conclu que toutes les conditions de la contrefaçon par équivalence n’étaient pas remplies.

Les décisions traitant de contrefaçon par équivalence sont relativement rares, et nous revenons à présent sur l’application de la théorie des équivalents en France à partir de deux affaires dans lesquelles la Cour s’est prononcée en faveur de la contrefaçon par équivalence.

Dans un premier article, nous avions présenté un arrêt dans lequel la démonstration de contrefaçon par équivalence ne nous semblait pas complète. Le présent arrêt nous semble apporter une approche plus classique.

Cette affaire a opposé la société K. HARTWALL OY AB (Finlande) à la société TOURAINE EMBALLAGE RECYCLAGE SAS, et a donné lieu à un arrêt de la Cour d’appel de Paris, le 28 novembre 2017. L’affaire est originale en ce qu’elle concerne une action en déclaration de non contrefaçon de la part de la société K. HARTWALL, toutefois cela n’a pas d’impact sur la question de la contrefaçon par équivalence.

Le brevet en cause est le brevet français FR2848188 de la société TOURAINE EMBALLAGE RECYCLAGE SAS (dénommée ci-après TER).

Le brevet porte sur un chariot de stockage de marchandises comprenant une embase (120) et au moins deux ridelles verticales (130). Le chariot est de plus équipé de deux volets antichute (140), constitués chacun par une feuille souple (150) liée à au moins deux sangles horizontales (160) équipées à chacune de leurs extrémités de moyens de fixation (167, 170), permettant la fixation d’une extrémité à une ridelle et de l’autre extrémité à la ridelle opposée.

La Cour a relevé que les prototypes litigieux de la société K. HARTWALL ne présentent pas des sangles allant d’un bord à l’autre de la feuille souple, mais des attaches fixées de chacun des deux côtés de cette feuille.

Sur la définition des différences secondaires

La Cour indique de plus que ces sangles « ayant été ajoutées en cours de procédure de délivrance, il ne saurait s’agir d’une reproduction par différences secondaires du brevet ». La Cour confirme ainsi une tendance que l’on retrouve dans les décisions de ces dernières années, selon laquelle l’ajout, au cours de la procédure de délivrance, d’une caractéristique, est un indice de l’importance de ladite caractéristique. Au vu des conclusions de la Cour, l’absence d’une telle caractéristique, n’étant de ce fait pas considérée comme secondaire, doit être prise en compte dans l’analyse de la contrefaçon littérale.

La Cour conclut donc que la contrefaçon littérale de la revendication 1 n’est pas établie, de même que la reproduction par différences secondaires.

On peut relever ici que la Cour mentionne explicitement la reproduction par différences secondaires, ce qui n’est pas courant dans les décisions.

Sur la contrefaçon par équivalence

La Cour confirme la position du Tribunal selon laquelle la contrefaçon par équivalence peut être retenue lorsque :

  • « le moyen revendiqué par le brevet n’est pas reproduit intégralement par le produit en cause »,
  • « la forme différente de celui-ci exerce la même fonction que ce moyen »,
  • « pour un résultat identique ou similaire », et
  • « la fonction visée dans le contexte de la revendication [n’est] pas connue de l’état de la technique ».

Dans le cas présent, nous comprenons des écrits de la Cour que :

  • le moyen de forme différente est constitué par les sangles,
  • ce moyen exerce la fonction de fixation du volet antichute, ainsi que son articulation sur un montant d’une ridelle,
  • le résultat obtenu est de participer à l’efficacité de la fonction antichute du volet.

La Cour a montré que la fonction, à savoir la fixation du volet antichute, ainsi que son articulation sur un montant d’une ridelle, est nouvelle par rapport aux documents cités.

Dans les prototypes litigieux de la société K. HARTWALL, la Cour considère que les sangles sont disposées de part et d’autres du même côté du volet et ont donc une forme différente de celle des sangles revendiquées. Cependant, la Cour conclut qu’elles exercent la même fonction, soit prévenir la chute d’objets disposés dans le chariot, en maintenant la feuille souple formant volet entre les ridelles. On voit que dans cette démonstration, la fonction et le résultat ne sont pas clairement séparés. Ici, nous interprétons que le résultat est de prévenir la chute d’objets disposés dans le chariot et la fonction est demaintenir la feuille souple formant volet entre les ridelles.

Dès lors, la Cour a vérifié ici que les sangles des chariots litigieux constituent des moyens équivalents aux sangles revendiquées, i.e. de forme différente, mais exerçant une même fonction pour un résultat identique ou similaire, et que de plus cette fonction est nouvelle. Par conséquent, la Cour a jugé, en suivant un raisonnement classique, que la contrefaçon par équivalence était constituée.

On peut toutefois relever ici que la Cour ne s’arrête qu’à un critère de nouveauté de la fonction. Il s’agit là d’une appréciation très classique (historique) de la doctrine des équivalents. Rappelons que les positions sur ce critère sont partagées et que certains considèrent qu’il faut que la fonction soit « protégée » par le brevet, ce qui ajouterait un critère d’activité inventive pour cette fonction.