La marque « GRAND LITIER » est-elle distinctive pour les produits de literie en classe 20 ? L’INPI a rendu sa décision (NL 23-0161) en décembre 2024 dans une action en nullité formée à l’encontre de cette marque française.
Cette décision nous semble intéressante, car elle rappelle non seulement les critères d’appréciation du caractère distinctif ET descriptif d’une marque, mais elle met aussi en lumière un moyen important pour défendre sa marque, à savoir le caractère distinctif acquis par l’usage.
Rappel des faits
La marque française n° 09/3701645 « GRAND LITIER » est déposée et enregistrée depuis le 29 décembre 2009 au nom de la société FIRST SERVICE.
La société MEDIA MARKETING CONSEIL a initié, le 14 août 2023, une action en nullité à l’encontre de ladite marque pour une partie des produits et services, notamment en classes 20 (lits), 24 (linge de lit) et 35 (publicité ; gestion des affaires commerciales).
Cette action a été basée sur les deux fondements suivants :
- La marque contestée peut servir à désigner une caractéristique du produit ou du service (caractère descriptif) ;
- La marque contestée est dépourvue de caractère distinctif en soi (absence du caractère distinctif).
L’INPI a, tout d’abord, examiné le caractère descriptif, en considérant que la marque contestée n’est descriptive que pour une partie des produits et services contestés, à savoir les « lits, oreillers, literie (à l’exception du linge de lit), matelas, sommiers, protège sommier, protège matelas, cadres de lit, pieds de lit, banquette-lits ».
L’INPI a, ensuite, examiné le caractère distinctif et a reproché, à la société MEDIA MARKETING CONSEIL, de ne faire aucune distinction entre le motif du caractère descriptif et celui de l’absence de caractère distinctif. L’office a donc rejeté ce second motif.
Par ailleurs, afin de défendre sa marque, la société FIRST SERVICE a réussi à convaincre l’INPI que sa marque avait acquis un caractère distinctif par l’usage avant la date de demande en nullité. L’enregistrement de sa marque a donc entièrement été maintenu par l’INPI.
Nous vous livrons ci-après quelques points qui nous semblent importants dans l’appréciation du caractère distinctif ET descriptif d’une marque sous forme de questions-réponses.
1. Quelle est la relation entre le motif d’absence de distinctivité en soi (a) et le motif de caractère descriptif (b) d’une marque ? Comment l’INPI procède-t-il à son examen si les deux motifs sont simultanément invoqués ?
Les deux motifs ont été invoqués par la société MEDIA MARKETING CONSEIL. L’INPI a choisi d’examiner en premier lieu le caractère descriptif (motif b), car une marque descriptive (motif b) est nécessairement dépourvue de caractère distinctif (motif a).
Néanmoins, si une marque n’est pas descriptive (motif b) des produits ou services concernés, elle peut encore être contestée pour absence de caractère distinctif, dans la mesure où elle « ne conduit pas le public concerné à penser que les produits en cause proviennent d’une entreprise déterminée et ne lui permet pas de les distinguer de ceux d’autres entreprises ».
Or, dans ses arguments, la société MEDIA MARKETING CONSEIL n’a fait aucune distinction entre les deux motifs de nullité. Cela a conduit l’INPI à rejeter le motif d’absence du caractère distinctif.
Ainsi, il est important de clarifier la relation et la distinction entre le caractère distinctif et descriptif d’une marque, afin de mieux préparer des actions.
2. Une dénomination considérée comme « descriptive » doit-elle nécessairement être répertoriée dans un dictionnaire ?
Non ! Afin de défendre sa marque, la société FIRST SERVICE avait souligné que le terme « LITIER » n’était pas défini dans un dictionnaire officiel.
Or, dans la mesure où les pièces versées par la société MEDIA MARKETING CONSEIL ont bien montré que ce terme était utilisé pour « désigner une personne ou une entreprise exerçant un métier de l’artisanat ayant pour objet la fabrication … de produits de literie », l’INPI a retenu que l’absence de définition dans un dictionnaire n’empêchait pas de considérer ce terme comme descriptif.
3. Une marque considérée comme descriptive doit-elle nécessairement décrire une caractéristique essentielle des produits ou services concernés ?
Non ! La loi prévoit que :
Ne peuvent être valablement enregistrés et, s’ils sont enregistrés, sont susceptibles d’être déclaré nuls :
[…]
3° Une marque composée exclusivement d’éléments ou d’indications pouvant servir à désigner, dans le commerce, une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation du service ;
[…]
Ainsi, la condition de la caractéristique essentielle ne s’applique pas à l’appréciation du caractère descriptif d’une marque.
4. Quelle est la période de référence pour apprécier le caractère distinctif d’une marque en soi ?
Dans le cadre d’une action en nullité, l’appréciation du caractère distinctif en soi de la marque contestée doit se placer au jour de son dépôt.
Les parties sont ainsi amenées à démontrer que la marque contestée était distinctive ou non, au jour du dépôt.
Il est intéressant de noter que les pièces justificatives postérieures à cette date ne sont pas systématiquement écartées de l’examen ; elles peuvent en effet « être prises en compte si et dans la mesure où elles permettent de tirer des conclusions quant à la situation » à la date de référence.
5. Comment prouver le caractère distinctif acquis par l’usage ? Quelles sont les preuves pertinentes pour le démontrer ?
La marque « GRAND LITIER » a pu échapper à la nullité grâce à son caractère distinctif acquis par l’usage, mais pas à son caractère distinctif intrinsèque.
En l’espèce, l’INPI a rappelé que « la preuve d’une telle acquisition peut être rapportée par tout moyen et qu’elle doit notamment permettre de déterminer la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de cette marque, l’importance des investissements faits par l’entreprise pour la promouvoir et la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit ou le service comme provenant d’une entreprise déterminée grâce à la marque. »
A titre d’exemple, les documents et informations suivants sont utiles pour prouver le caractère distinctif d’une marque acquis par l’usage :
- Documents et informations concernant l’évolution des parts de marché en France de la marque ;
- Classement de la marque dans le secteur concerné, les récompenses et prix reçus ;
- Information concernant le déploiement des magasins et des points de vente en France ;
- Catalogues/brochures de produits ;
- Diffusions publicitaires (physiques ou numériques, y compris sur les réseaux sociaux) : affiches publicitaires ; magazines ; articles de presses ; publicité à la télé, radio et sur les réseaux sociaux ; …
- Factures concernant les campagnes publicitaires ; contrats de publicité ;
- Evolution des chiffres d’affaires : contrats de distribution ; factures de vente ; bons de commande ; …
6. Si le caractère distinctif de la marque contestée est acquis par l’usage, depuis quand cet usage doit avoir commencé pour être opposable à une demande en nullité ?
L’esprit de cette règle est de « ne pas déclarer nulle une marque enregistrée lorsque le caractère distinctif a été acquis après son enregistrement ».
Ainsi, à la différence de la réponse à la question 4, l’appréciation du caractère distinctif acquis par l’usage d’une marque contestée doit se placer au jour de la demande en nullité.
Si la marque contestée n’est pas considérée comme distinctive au jour de son dépôt, soit le 29 décembre 2009, elle l’est devenue, au jour de la demande en nullité, soit le 24 août 2023 (presque 12 ans après) et ce grâce à son usage intensif depuis son enregistrement.
par Qiang CEN, le 28 octobre 2025
 
					