27 juin 2019

L’adoption de la loi PACTE le 11 avril 2019 entraînera prochainement de multiples changements en matière de brevets en France

Le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (loi PACTE), adopté par l’Assemblée nationale le 11 avril 2019, traite de points relatifs aux brevets dans ses articles 118 et 121 à 124, à savoir :

  • la modernisation du certificat d’utilité, dont la durée passe de 6 ans à 10 ans, et la possibilité de transformation d’une demande de certificat d’utilité en demande de brevet ;
  • l’introduction prochaine d’une procédure d’opposition aux brevets français ;
  • l’introduction prochaine de l’examen de l’activité inventive pour les demandes de brevet français ;
  • la suppression de la prescription pour l’action en nullité d’un brevet ; et
  • la modification de l’évènement générateur du délai de prescription des actions en contrefaçon.

Voici une présentation de ces changements importants qui vont intervenir côté brevets.

La modernisation du certificat d’utilité

Un certificat d’utilité aura désormais une durée de 10 ans à compter du dépôt (L. 611-2 2° CPI), contre 6 ans auparavant. La France harmonise en cela la durée de son certificat d’utilité avec une durée existant habituellement à l’étranger pour ce type de titre de propriété industrielle, comme par exemple le « Gebrauchsmuster » en Allemagne ou le modèle d’utilité en Chine.

En outre, il sera non seulement possible, comme auparavant, de transformer une demande de brevet en demande de certificat d’utilité, mais également de transformer une demande de certificat d’utilité en demande de brevet.

Cette dernière disposition réintroduit de facto la possibilité de différer l’établissement du rapport de recherche préliminaire pour une demande de brevet, laquelle avait été introduite dans la loi de 1968, puis abandonnée en en 2008. Il suffira ainsi de déposer une demande de certificat d’utilité, puis de la transformer ultérieurement en demande de brevet. A ce sujet, l’article R.612-5 CPI relatif au paiement des taxes sera très certainement modifié pour permettre le paiement de la redevance de rapport de recherche lors de la transformation de la demande de certificat d’utilité en demande de brevet, laquelle devra intervenir avant l’expiration d’un délai qui sera prévu par voie réglementaire. Ce délai sera probablement inférieur ou égal à dix-huit mois à compter de la date de dépôt ou de priorité, afin de permettre une publication correcte de la demande, ce dans l’intérêt des tiers.

En outre, la correction du type de titre de propriété industrielle demandé sera facilitée en cas d’erreur commise sur le type de titre lors du dépôt, du fait de cette possibilité de transformation bilatérale.

Enfin, la pertinence d’une telle transformation sera à considérer, au vu du rapport de recherche préliminaire et des nouveaux critères de rejet attribués à l’INPI, notamment le défaut d’activité inventive (voir ci-dessous). Ainsi, en cas de doute sur la nouveauté ou désormais l’activité inventive d’une invention, il pourrait être opportun de transformer sa demande de brevet en demande de certificat d’utilité, pour éviter d’encourir le rejet de sa demande de brevet et obtenir la délivrance d’un certificat d’utilité, d’une durée certes moins longue (10 ans pour un certificat d’utilité contre 20 ans pour un brevet), mais néanmoins correcte.

Introduction prochaine d’une procédure d’opposition aux brevets délivrés par l’INPI

La loi prévoit la possibilité de créer un droit d’opposition, afin de permettre aux tiers d’obtenir la modification ou la révocation d’un brevet devant l’INPI. Le législateur a en outre prévu la possibilité de veiller à prévenir les procédures abusives. Il est ainsi loisible de penser que seuls les tiers ayant un intérêt à agir auront la possibilité de s’opposer à un brevet, lequel serait effectivement susceptible de porter atteinte à leurs intérêts (p. ex. liberté d’exploitation ou brevets antérieurs).

Les détails ne sont pas encore connus, mais il est à espérer que ceux-ci se feront dans un souci d’harmonisation européenne, notamment en ce qui concerne les délais (9 mois à compter de la délivrance) et aspects de fond applicables en matière d’opposition aux brevets européens.

L’intérêt d’une telle procédure administrative d’opposition est ainsi de permettre d’obtenir une décision favorable dans un délai raisonnable et à moindre coût, comparativement à une action judiciaire en nullité. L’appareil judiciaire, en particulier la cour d’appel de Paris, sera certainement mis à contribution dans les procédures de recours contre les décisions rendues par l’INPI dans le cadre de cette procédure d’opposition, de manière similaire aux décisions en cours d’examen. L’INPI a sans nul doute la capacité de mettre en place les moyens humains et matériels nécessaires pour atteindre cet objectif.

Introduction prochaine d’un examen de fond mené par l’INPI

Voici le principal changement apporté par la loi pour les déposants en France : la prise en compte, entres autres, de l’activité inventive au cours de l’examen.

L’INPI aura désormais la faculté de rejeter une demande de brevet, aux termes de l’article L.612-12 1er alinéa 7° CPI, « dont l’objet n’est pas brevetable au sens du 1 de l’article L.611-10 ».

Il s’agit du principal point issu des modifications opérées dans l’article L.612-12 CPI traitant des motifs de rejet par l’INPI, lesquelles consacrent l’examen pratiqué par l’INPI comme un examen de fond, portant notamment sur les trois critères de brevetabilité que sont la nouveauté, l’activité inventive et l’application industrielle :

  • En matière de nouveauté, le législateur supprime la notion d’absence « manifeste » de nouveauté. Cela élargit la compétence de l’INPI, auparavant limitée au rejet des demandes de brevet dont l’objet était intégralement divulgué dans une antériorité, considérée stricto sensu. Ainsi, l’INPI pourra procéder au rejet de demandes de brevet dont l’objet ne serait pas nouveau, selon une interprétation nécessairement plus large, laquelle se rapprochera certainement de l’interprétation issue de la jurisprudence, française ou européenne.
  • Concernant l’activité inventive et c’est le point qui attire notre attention, l’INPI aura le pouvoir de rejeter une demande de brevet dont l’objet n’implique pas d’activité inventive. Là encore, il est à espérer que l’harmonisation européenne jouera son rôle, et que l’examen de l’activité inventive par l’INPI s’effectuera principalement sur la base d’une approche problème-solution, de manière similaire aux demandes de brevet européen examinées à l’Office européen des brevets (OEB). L’examen de l’activité inventive nécessitant plus de temps qu’un simple examen de nouveauté, l’INPI devra certainement adapter ses effectifs en conséquence, sous peine de voir la durée de la procédure s’allonger. Toutefois, l’INPI pourra probablement s’appuyer sur l’expérience de l’OEB en la matière pour éviter cet écueil, lequel a pu être rencontré par d’autres Etats, le Brésil en étant le dernier exemple.
  • La réintroduction du critère de rejet pour défaut d’application industrielle, lequel avait été abandonné en 2008 (ancien L.612-12 1er alinéa 5°), facilitera peut-être le travail des examinateurs de l’INPI en matière de rejet des demandes de brevet portant sur des « mouvements perpétuels ». Toutefois, il n’aura qu’une incidence pratique extrêmement limitée sur les autres demandes. De plus, il est probable que l’article L.612-12 1er alinéa 7° ne s’applique pas aux demandes de certificat d’utilité, ce qui est regrettable s’agissant du critère d’application industrielle. En effet, les inventeurs de « mouvements perpétuels » tenteront sans doute de s’adapter à la procédure de l’INPI pour éviter un rejet sur ce motif en déposant une demande de certificat d’utilité.

En outre, il sera nécessaire d’être vigilant quant aux dispositions réglementaires qui viendront encadrer la procédure d’examen des demandes par l’INPI. En effet, la suppression de la notion de rapport de recherche et de mise en demeure du libellé de l’article L.612-12 1er alinéa 7° élargit très fortement les possibilités en matière d’examen. Ainsi par exemple, l’INPI aurait en théorie la capacité de pouvoir rejeter une demande avant établissement du rapport de recherche préliminaire pour défaut de nouveauté ou d’activité inventive, par exemple par citation d’un document pertinent dans une notification d’examen. Plus généralement, l’INPI pourrait rejeter une demande de brevet pour défaut de nouveauté et/ou d’activité inventive vis-à-vis d’un ou plusieurs documents non cités dans le rapport de recherche préliminaire.

Les détracteurs de l’examen au fond par l’INPI ont mentionné le surcoût potentiel pour les déposants, résultant de la défense de ces nouveaux critères de brevetabilité. A ce sujet, il sera possible d’envisager, à réception du rapport de recherche préliminaire et selon la pertinence des antériorités citées, une transformation de la demande de brevet en demande de certificat d’utilité, auquel le critère de rejet selon l’article L.612-12 1er alinéa 7° ne s’appliquera pas. Ainsi, un titre pourra toujours être obtenu à peu de frais en France, via le certificat d’utilité. L’augmentation de la durée de ce dernier à dix ans rend cette possibilité nettement plus envisageable, du fait que la durée médiane de maintien des brevets en France est inférieure à dix ans1.

Enfin, il faut noter que ces dispositions ne seront applicables qu’un an après la promulgation de la loi, aux demandes de brevet déposées à compter de cette date. Pour les demandes de brevet déjà déposées ou qui seront déposées avant cette date, l’examen par l’INPI restera inchangé (notamment, rejet pour absence manifeste de nouveauté).

Pas de prescription pour l’action en nullité d’un brevet

De l’avis de nombreux experts, l’application d’un délai de prescription en matière d’action en nullité de brevet était contestable, en ce que l’article 2224 du code civil ne devrait pas s’appliquer dans ce cas. Cependant, la jurisprudence française ne semblait pas favorable à cette interprétation, même si le point de départ du délai de prescription n’était pas fixé2.

L’introduction de l’article L.615-8-1 CPI par le législateur permet de lever tout doute quant à la possibilité d’introduire, à tout moment, une action en nullité d’un brevet. Ainsi, aux termes de cet article, « L’action en nullité d’un brevet n’est soumise à aucun délai de prescription ».

De plus, l’introduction d’un tel article avait déjà été prévue dans l’ordonnance n°2018-341 du 9 mai 2018, mais sa date d’entrée en vigueur était soumise à la date d’entrée en vigueur de l’accord relatif à la juridiction unifiée du brevet (JUB). Celle-ci pourrait intervenir en 2019, si la plainte déposée devant le Tribunal constitutionnel fédéral allemand (Karlsruhe) contre l’accord sur la JUB, dont l’examen est prévu cette année, est rejetée. Le législateur, à bon droit nous semble-t-il, a préféré ne pas attendre une hypothétique décision favorable d’une juridiction allemande pour trancher ce point délicat de la prescription de l’action en nullité en matière de brevet.

La question relative à l’effet sur une prescription déjà acquise se posera très certainement. A ce sujet, dans l’ordonnance susmentionnée (articles 13 et 23 point II.), le législateur avait prévu que l’absence de prescription s’applique aux actions pour lesquelles, à la date de son entrée en vigueur, le délai de prescription ne serait pas encore arrivé à expiration. Il n’est cependant pas certain que la jurisprudence converge avec les intentions du législateur sur ce point, lequel sera sans nul doute soulevé par un titulaire dans une action en nullité à l’encontre de son brevet. Affaire à suivre !

Modification de l’évènement générateur du délai de prescription des actions en contrefaçon

Aux termes de l’article L.615-8 CPI dans sa forme actuelle, « Les actions en contrefaçon prévues par le présent chapitre sont prescrites par cinq ans à compter des faits qui en sont la cause. ». Ainsi, se posait le problème de la connaissance tardive, par le titulaire d’un droit, des faits relevant de la contrefaçon.

Le législateur a souhaité renforcer la possibilité pour le titulaire d’un droit d’obtenir réparation du préjudice, même pour des actes anciens, en considérant pour point de départ de la prescription, non plus la commission d’un acte de contrefaçon, mais sa connaissance (réelle ou supposée) par le titulaire du droit. Ainsi, aux termes du nouvel article L.615-8 CPI, « Les actions en contrefaçon […] sont prescrites par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l’exercer ».

En cela, le législateur a voulu d’une part, protéger le titulaire d’un brevet de la dissimulation d’actes de contrefaçon par un contrefacteur (comme la fabrication par exemple, laquelle pouvait être dissimulée par le transport et le stockage subséquent sur un territoire non couvert par le droit, en attendant l’expiration du droit). D’autre part, le législateur a souhaité protéger les tiers d’un titulaire qui volontairement « fermerait les yeux » sur la commission d’actes de contrefaçon, et découvrirait ceux-ci « par surprise », bien au-delà d’un délai de cinq ans, de manière à augmenter délibérément la durée de la contrefaçon, et ce pour obtenir une réparation du préjudice au-delà du délai de prescription.

Demande provisoire de brevet : un abandon bienvenu

Enfin, il faut saluer l’abandon – au moins provisoire3 – de la création d’une demande provisoire de brevet, laquelle n’aurait eu aucun avantage pratique. En effet, un droit de priorité naît dès lors qu’une date de dépôt est attribuée, ni le paiement des taxes ni la présence de revendications n’étant obligatoire pour l’obtention d’une date de dépôt.

Ainsi, le dépôt d’une demande de brevet par un demandeur identifié, même minimale (ne contenant par exemple qu’une description de l’invention) et à moindre coût (sans payer les taxes dues à l’INPI) peut déjà faire naître un droit de priorité. Celui-ci peut être utilisé non seulement à l’étranger par application de la Convention de Paris (177 Etats), mais également en France via le mécanisme dit de la « priorité interne » (L.612-3 CPI). C’est pourquoi la création d’une demande provisoire telle qu’initialement prévue dans le projet de loi PACTE aurait été inutile.

 1 Baudry M., Dumont B. (2018), « Les brevets : Incitation ou frein à l’innovation ? », volume 13, page 35, citation 35, février 2018.

2 Ifame J. (2018), « Prescription de l’action en nullité de brevet : du nouveau mais toujours pas de solution ? » (mis à jour en 2019)

3 La création de la demande provisoire semble désormais envisagée par décret, suite à l’avis du Conseil d’Etat du 14 juin 2018 sur le projet de  loi PACTE, point 64, selon lequel « aucune disposition législative n’est nécessaire pour mettre en œuvre la réforme envisagée ».

 

 

 

Cet article sera bientôt disponible en anglais et en chinois sur les versions anglaise et chinoise du site LLR.