La protection des logiciels partie 1/2

La propriété intellectuelle d’un logiciel peut être protégée de différentes façons. Nous proposons de nous concentrer, dans cet article, sur la protection par le droit d’auteur.

Selon le choix opéré par la grande majorité des textes internationaux comme des droits nationaux, et en particulier par le droit français, le logiciel est protégé par le droit d’auteur.

Ainsi, l’article L 112-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) fait figurer les logiciels dans la liste non exhaustive des œuvres de l’esprit.

Ce choix, qui peut sembler surprenant face à un objet technologique, n’exclut toutefois pas la protection par les brevets, même si l’on sait que la Convention sur le brevet européen et le CPI prévoient l’exclusion de la brevetabilité des programmes d’ordinateurs en tant que tels. La protection par brevet, pour peu que les conditions de cette protection soient réunies, présente de nombreux avantages, parmi lesquels les bénéfices tirés de la protection par un titre ou l’amplitude des actes que le breveté peut interdire aux tiers d’accomplir. Il est ainsi recommandé, pour un logiciel en développement, de toujours se livrer à un examen pour déterminer si cette protection par brevet est envisageable. Pour l’heure, ces quelques lignes ont vocation à cheminer dans les spécificités du droit d’auteur appliqué aux logiciels.

Contrairement au brevet, donc, pas de titre mais une protection ab initio, indépendamment de tout dépôt, sous réserve d’une création de forme originale. Il est cependant possible de réaliser un dépôt auprès d’un notaire ou d’un organisme spécialisé tel que l’Agence pour la Protection des Programmes. Les objectifs peuvent en être multiples : à minima se ménager la preuve de la date de création mais, au-delà, permettre la mise en œuvre d’une clause d’entiercement et l’accès aux sources du logiciel à un client utilisateur dans des cas limitativement prévus par contrat. Ces cas sont, généralement une défaillance dans la réalisation de la maintenance ou une défaillance plus structurelle de la société elle-même dans l’hypothèse d’une procédure collective du livre VI du Code de commerce.

Outre ces avantages, qui sont le plus souvent mis en lumière, on peut souligner que, pragmatiquement, un dépôt donne également l’occasion de figer une version de logiciel. De plus, il incite à se poser la question de la titularité : si mon logiciel a été développé « en  interne », l’a-t-il été uniquement par des employés ? Dans ce cas, en effet, l’article L. 113-9 du CPI prévoit la dévolution automatique à l’employeur des droits patrimoniaux sur les logiciels. Mais des prestataires en mission ou des stagiaires y ont-ils aussi contribué ? A fortiori, si la personne morale a externalisé son développement en le confiant à un fournisseur, la cession des droits patrimoniaux a-t-elle été formalisée avec le soin nécessaire ? Et, les développeurs, qu’ils soient internes ou externes, ont-ils recensé les logiciels libres pour permettre d’en analyser les contraintes contractuelles et en tirer les conséquences appropriées dans les contrats clients malgré l’apparence de liberté d’accès ? Enfin, cette organisation du dépôt permet aussi de matérialiser l’existence d’actifs incorporels qui pourront être valorisés au sein d’un portefeuille technologique incluant par exemple des brevets, notamment en cas de cession d’une branche d’activité ou de l’entreprise.

L’originalité, qui est, comme on l’a évoqué précédemment, une des conditions de la protection par le droit d’auteur, a été définie pour les logiciels par l’arrêt « Pachot » rendu par la Cour de Cassation en Assemblée Plénière[1] comme « l’apport intellectuel de l’auteur ».

Cette condition posée, l’on peut s’interroger sur les créations de forme qui font concrètement l’objet de la protection « spécifique » du droit d’auteur appliqué au logiciel. L’article L. 112-2 13°du CPI fait référence aux « logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire ». En pratique, la protection du logiciel ainsi visée concerne à la fois le code objet, c’est-à-dire le code qui n’est pas lisible par l’être humain sans décompilation, mais aussi le code source, c’est-à-dire le code lisible par l’être humain et permettant donc d’opérer des modifications du logiciel et d’en réaliser la maintenance. La notion de matériel de conception préparatoire fait écho à la volonté exprimée par la Directive CE 2009/24 du 23 avril 2009 dans son considérant 7 d’inclure dans les programmes d’ordinateurs : « les travaux préparatoires de conception aboutissant au développement d’un programme, à condition qu’ils soient de nature à permettre la réalisation d’un programme d’ordinateur à un stade ultérieur. »

Ainsi, dans le respect des principes du droit d’auteur, les idées et concepts ne sont pas protégeables mais la formalisation par des spécifications détaillées et des lignes de code le sont.

La définition de l’article L. 112-2 13°du CPI qui peut paraître tout de même restrictive, n’empêche pas la protection d’autres éléments par le droit d’auteur « non spécifique » au logiciel. On songe par exemple aux interfaces graphiques ou à la documentation utilisateur.

Il est donc important de veiller dans les clauses de tout contrat de développement, de cession ou de licence relatif à un logiciel d’inclure tous les éléments dont le client, le cessionnaire ou le licencié pourrait avoir besoin, y compris ces autres éléments protégeables au titre du droit d’auteur général.

Quant aux prérogatives attribuées à l’auteur d’un logiciel, l’article L 122-6 du CPI détaille les spécificités pour le logiciel des droits patrimoniaux de représentation, de traduction et de mise sur le marché. Mais c’est l’article L.122-6-1 du CPI qui retient le plus l’attention car il définit des exceptions aux droits de l’auteur spécifiques au logiciel dont la raison d’être tient aux conditions d’utilisation de ce dernier. Il permet ainsi, dans certaines conditions, à l’utilisateur légitime de ne pas être bloqué par l’auteur pour corriger des erreurs, effectuer des copies de sauvegarde, examiner ou tester le logiciel ou l’interopérer dans un système complet.

Le droit moral sur le logiciel est, lui, amoindri et les droits extrapatrimoniaux sont ainsi limités essentiellement aux droits de paternité et de divulgation. En effet, l’exercice du droit à l’intégrité de l’œuvre n’est possible qu’en cas d’atteinte à l’honneur ou à la réputation de l’auteur et l’exercice du droit de repentir ou de retrait lui est interdit.

On le comprend, le logiciel se distingue par une double spécificité. C’est un objet technologique protégé par un droit d’auteur adapté sur certains points. Ceci appelle donc une double vigilance, en particulier au moment de toute contractualisation portant sur un logiciel ou plus largement une création numérique telle qu’une application ou un site internet. Les contrats de développement, de cession, de licence ou les contrats de services applicatifs de type cloud mobilisent ainsi à la fois la connaissance du droit d’auteur « spécifique » comme du droit d’auteur « général » et la maîtrise des clauses techniques.

[1] Cass. Ass. plén., 7 mars 1986, pourvoi n°83-10477