par Agnès PICON, 13 mai 2025
Nous vous présentons ici une décision récente de la Juridiction unifiée du brevet qui se prononce sur sa compétence au sujet d’une action en contrefaçon d’un brevet européen au Royaume-Uni. Cette décision montre que la compétence territoriale de la JUB est étendue aux territoires d’États non membres.

La Juridiction unifiée du brevet (JUB, ou UPC en anglais) est une juridiction commune à 18 États, tous membres de l’Union européenne, pour lesquels l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (AJUB) est entré en vigueur récemment, le 1er juin 2023.

Parmi les États membres de la JUB, on compte par exemple l’Allemagne, la France et la Belgique. Le Royaume-Uni n’en fait pas partie.

On pourrait donc penser que des décisions de la JUB n’ont pas d’impact au Royaume-Uni.

Cependant, les brevets européens peuvent exercer leurs effets dans des États membres de la JUB, mais également dans des États non membres de la JUB, comme le Royaume-Uni.

Dans ce contexte, le 28 janvier 2025, la JUB a rendu une décision relative à sa compétence pour connaître d’une action en contrefaçon d’un brevet européen au Royaume-Uni.

Action en contrefaçon d’un brevet européen en vigueur au Royaume-Uni

Le brevet européen n° EP 3 594 009 a été délivré le 21 avril 2021. Il est détenu par Fujifilm. Il est maintenu en vigueur en Allemagne et au Royaume-Uni.

Le requérant, la société Fujifilm Corporation, a initié une action en contrefaçon du brevet devant la Division Locale de Düsseldorf.

Les défendeurs, les sociétés Kodak GmbH, Kodak Graphic Communications GmbH et Kodak Holding GmbH, ont répliqué en déposant une demande reconventionnelle en nullité du brevet dans tous les États membres de la JUB dans lesquels le brevet exerce son effet, à savoir ici l’Allemagne.

Ils ont également contesté la compétence de la JUB pour connaitre de l’action en contrefaçon du brevet dans sa désignation britannique.

Compétence relative à la contrefaçon au Royaume-Uni

Le tribunal a exposé ce qui suit.

– Selon l’art. 4(1) du Règlement Bruxelles I bis (Règlement (UE) n° 1215/2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale), les sociétés Kodak, toutes domiciliées en Allemagne, doivent être attraites devant les juridictions de cet Etat.

Par ailleurs, concernant le cas particulier du règlement des litiges devant la JUB, l’art. 31 de l’AJUB prévoit bien que la compétence internationale de la JUB est établie conformément à ce Règlement Bruxelles I bis. En outre, les art. 71 bis à quinquies du Règlement Bruxelles I bis, ajoutés par le Règlement (UE) n° 542/2014, prévoient que la JUB compte comme une juridiction d’un État membre de celle-ci. Par conséquent, la Division locale de Düsseldorf est bien une juridiction de l’Allemagne au sens de l’art. 4(1) du règlement Bruxelles I bis, et est compétente pour juger des affaires de contrefaçon présumée des sociétés Kodak concernant un brevet européen.

– Les défendeurs avaient argumenté qu’en vertu de l’art. 34 de l’AJUB, le champ d’application territorial d’une décision de la JUB ne peut être étendu au Royaume-Uni.

Plus précisément, l’article 34 de l’AJUB est énoncé comme suit :

« Champ d’application territorial des décisions

Les décisions de la Juridiction couvrent, dans le cas d’un brevet européen, le territoire des États membres contractants pour lesquels le brevet produit ses effets. ».

Les défendeurs ont interprété cet article dans le sens où « les États membres contractants » sont des États membres de la JUB. Ils ont exposé que le Royaume-Uni n’est pas un État membre de la JUB, et que par conséquent, le champ d’application territorial de la décision ne peut pas être étendu au Royaume-Uni.

– Cependant, le tribunal a clarifié le fait que l’article 34 ne porte pas sur la compétence internationale de la JUB en tant que telle, laquelle est traitée par l’art. 31 de l’AJUB (voir ci-avant), mais sur le fait que les décisions de la JUB requièrent que le brevet produise des effets sur un territoire pour que la décision s’applique sur ce territoire. Le tribunal a expliqué que les brevets européens ne sont pas nécessairement en vigueur dans tous les États membres contractants de l’AJUB, et que l’art. 34 vise à expliquer que les décisions de la JUB s’appliquent à tout le territoire de la JUB, à l’exception des territoires des Etats membres contractants de l’AJUB où le brevet européen n’est pas en vigueur.

Ainsi, la Division locale de Düsseldorf a conclu qu’elle est bien compétente pour juger des actions de contrefaçon de brevet européen lorsque le défendeur a son domicile en Allemagne, même si les faits argués de contrefaçon se sont déroulés sur le territoire d’un État non membre de la JUB, ici le Royaume-Uni (pages 20 à 23 de la décision).

Compétence relative à la validité du brevet

On relèvera que dans le cas présent, la question de la compétence en matière de validité de la partie britannique du brevet n’a pas été traitée. En effet, les défendeurs n’ont pas demandé la nullité du brevet au Royaume-Uni devant la JUB, ni d’ailleurs devant un tribunal britannique.

Décision sur l’action en contrefaçon

Le tribunal ayant conclu à la révocation du brevet sur le territoire de tous les États membres contractants sur lesquels il produisait ses effets, c’est-à-dire l’Allemagne, l’action en contrefaçon a été rejetée pour la partie allemande du brevet.

Concernant la contrefaçon au Royaume-Uni, le tribunal a exposé que la validité du brevet est un prérequis pour l’application de sanctions basées sur l’établissement d’une contrefaçon. Aucune demande en nullité n’a été déposée au Royaume-Uni. Le requérant n’a pas exposé de raison qui permettrait de supposer que la validité du brevet doit être évaluée différemment au Royaume-Uni et en Allemagne. Aussi, même si le tribunal ne peut pas se prononcer sur la validité de la partie britannique du brevet, et ne peut pas la révoquer, il a jugé que l’action en contrefaçon ne peut pas prospérer au Royaume-Uni (page 60 de la décision).

Conclusion

Cette décision de la Division Locale de Düsseldorf laisse donc entendre qu’un contrefacteur présumé domicilié dans un État membre de la JUB pourrait se voir infligé des sanctions par la JUB pour des faits accomplis sur un territoire où un brevet européen est en vigueur, alors même que ce territoire n’est pas celui d’un État membre de la JUB. La compétence territoriale de la JUB est donc ainsi étendue aux territoires d’États non membres.