par Laurence BONTRON, 17 décembre 2025

Absence de caractère individuel d’un pavillon éclairé

Dans cette affaire, le titulaire d’un modèle de pavillon de jardin pourvu d’une guirlande lumineuse a vu annuler son enregistrement de modèle de l’Union Européenne, pour défaut de caractère individuel, malgré son recours devant le Tribunal de l’Union Européenne.

Ainsi, par un arrêt du 23 juillet 2025 (CJUE, Tribunal, T 54/24), le Tribunal a rejeté le recours formé par la société allemande EveMotion GmbH contre la décision de la chambre de recours de l’EUIPO (affaire R 436/2023-3 du 1er décembre 2023), qui avait elle-même confirmé la décision de la division d’annulation de l’EUIPO, accueillant alors la demande en nullité du dessin ou modèle de l’Union européenne N°005490596-0003, dont cette dernière était titulaire.

Le dessin ou modèle de l’Union européenne contesté, déposé le 9 juillet 2018, concernait ainsi un pavillon de jardin et était représenté par la vue unique ci-dessous :

La demande en nullité était fondée notamment sur un dessin ou modèle de l’Union européenne antérieur, divulgué au plus tard le 7 mars 2016 et représenté comme suit :

À l’appui de son recours, la société EveMotion GmbH invoquait un moyen unique, tiré de la violation de l’article 6 du règlement no 6/2002 par la chambre de recours qui avait considéré que le modèle de pavillon était dépourvu de caractère individuel.

Comme l’on pouvait s’en douter au regard des modèles concernés représentés ci-dessus, dans ses griefs, la société allemande avait surtout basé son argumentation sur l’importance de l’éclairage dans le modèle de pavillon contesté.

Malheureusement, cet éclairage n’a pas été jugé suffisant par le Tribunal, qui a conclu essentiellement que :

La liberté du créateur dans l’élaboration du pavillon n’était pas limitée,

En particulier :

  • un pavillon peut prendre toutes les formes de base imaginables (ronde, ovale, rectangulaire, pentagonale…) et ne doit pas nécessairement comporter des parois mobiles latérales ;
  • la liberté du créateur n’est pas limitée en raison de certaines nécessités techniques liées à l’insertion d’un éclairage dans la construction du toit ; en effet, ces points lumineux, même positionnés sur le cadre, peuvent revêtir diverses formes et être agencés de diverses manières ;
  • de plus, la forme particulière des bornes électriques ne peut pas être prise en compte, dès lors qu’une telle caractéristique n’est pas visible dans la représentation du dessin ou modèle contesté ;
  • la saturation de l’état de l’art ne peut être considérée comme limitant la liberté du créateur.

Il n’y a pas de saturation du patrimoine des formes dans le secteur des pavillons,

Le Tribunal estime que la société EveMotion GmbH n’apporte pas la preuve, qui lui incombe, de la saturation de l’état de l’art dans le secteur des pavillons (recherches Internet de 2023, trop tardives par rapport à la date de dépôt de 2018 et quelques pavillons de concurrents, insuffisants pour prouver une véritable saturation). Il ne s’agit pas non plus d’un fait notoire. En effet, la circonstance qu’un type particulier de pavillon aurait été déjà connu à la date du dépôt de la demande d’enregistrement ne saurait suffire à établir la saturation de l’état de l’art dans le secteur concerné. Ainsi, l’utilisateur averti ne serait pas sensible à la moindre différence entre les dessins ou modèles en conflit.

L’ajout d’une guirlande lumineuse sur le pavillon n’entraine pas une impression globale différente sur l’utilisateur averti entre le dessin ou modèle contesté et le dessin ou modèle antérieur,

C’est le point central de cet arrêt puisqu’en pratique, si d’autres différences ont été admises, il s’agissait surtout d’examiner si l’ajout d’une guirlande lumineuse sur le pavillon modifiait l’impression globale comme le soutenait la société allemande ou s’il s’agissait d’un élément accessoire.

Ainsi, le tribunal a jugé que ces différences étaient peu perceptibles sur la vue déposée et qu’elles n’étaient pas de nature à produire des impressions générales différentes.

En effet, après avoir rappelé que toutes les caractéristiques du pavillon représentées par le dessin ou modèle contesté, et non pas seulement l’éclairage de ce pavillon, doivent être prises en considération lors de l’appréciation du caractère individuel, le Tribunal a considéré que :

  • il suffit de relever que, sur la vue déposée, les points lumineux LED éclairant le pavillon sont certes perceptibles, mais ne sont pas particulièrement visibles et frappants et que l’effet d’illumination ou de rayonnement produit par l’éclairage demeure discret ;
  • le rôle de l’éclairage est secondaire et accessoire par rapport à celui du pavillon en tant que tel, dans la mesure où ce dernier peut être utilisé le jour, un moment où l’éclairage n’est pas nécessaire.t. Dans ces conditions, la présence d’un éclairage intégré ne peut avoir qu’une incidence faible sur l’impression globale produite par ce dessin ou modèle sur l’utilisateur averti ;
  • quand bien même la société allemande aurait réussi à étayer son affirmation selon laquelle, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté, l’éclairage de son pavillon par des points lumineux LED présentait un caractère innovant et inhabituel, de telles circonstances ne sauraient être déterminantes dans la mesure où elles concernent un élément secondaire et accessoire par rapport au produit dans son ensemble ;
  • le câblage de la guirlande lumineuse est entièrement dissimulé dans le cadre du pavillon, de sorte que la structure du pavillon reste pleinement visible ;
  • au contraire les caractéristiques principales demeurent : la forme générale du pavillon, le double toit, les rideaux suspendus, les 6 montants ; ainsi, les autres caractéristiques du pavillon apparaissent plus nombreuses, plus visibles et plus frappantes que l’éclairage par des points lumineux LED.

Ainsi, le Tribunal conclut que l’éclairage du pavillon représenté dans le dessin ou modèle contesté ne saurait constituer la caractéristique centrale et dominante du dessin ou modèle contesté, et ne constitue pas une différence suffisamment importante et marquée pour être susceptible, à elle seule, de produire une impression globale différente de celle du dessin ou modèle antérieur. En estimant que les similitudes entre les dessins et modèles en conflit l’emportaient sur leurs différences, le Tribunal a confirmé que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel et le recours a donc été rejeté.

En conclusion, un élément accessoire comme une guirlande lumineuse ne suffit pas à individualiser un pavillon dont la structure est identique à un modèle antérieur.

Même si l’éclairage du modèle de la société EveMotion GmbH n’apporte pas une lumière nouvelle sur la manière d’apprécier le caractère individuel d’un dessin ou modèle de l’Union Européenne, cette décision confirme que :

  • plus la liberté du créateur est grande, plus il faut des différences marquées pour créer une impression globale distincte ;
  • les éléments accessoires ou d’ambiance ne suffisent pas à individualiser un modèle ;
  • l’examen du caractère individuel se base sur ce qui est représenté sur les vues déposées, peu importe l’usage réel du produit auquel il s’applique ;
  • lorsque la liberté du créateur est élevée, seules des différences substantielles et immédiatement perceptibles produisent une impression globale différente ;
  • l’examen de la preuve de la saturation de l’art dans le secteur concerné est très rigoureux ;
  • sans saturation de l’art, seule une différence notable peut suffire à distinguer les modèles ;

Les titulaires de dessins et modèles devraient donc veiller à :

  • éviter de vouloir fonder leur protection sur des détails mineurs ou dissimulés ;
  • mettre clairement en exergue par le dépôt de plusieurs vues, les différences par rapport aux modèles antérieurs,
  • collecter des preuves variées et datées dans le secteur du produit concerné, afin de pouvoir démontrer le cas échéant, la saturation de l’art antérieur à la date de dépôt du modèle.

Illustration : Photo de David McEachan (Pexels)